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3 Moulin d'Abzac, 33230, Gironde; voir sur tourisme en aquitaine

monum

Le Moulin est peu visible depuis la voie publique. Ce Moulin d’Abzac (toutes les étapes de la fabrication de farine) que Gilbert Romme avait voulu transformer en fonderie de canons sous le nom de Gardorisle est aujourd’hui le siège d’une entreprise.

cadran solaire

 Les visites du moulin sont payantes et sur demande, sauf dans le cadre des journées du patrimoine.

le château appartenant à la même famille que le moulin est classé monument historique

  

 

 Charles et Gilbert Romme

Extrait (page 311 pour le 5° degré)de l'ouvrage de Florence Mothe : " Lieux symboliques en Gironde , trois siècles de franc-maçonnerie à Bordeaux" éditions Dervy

Gilbert Romme fait adopter le télégraphe de Chappe et imagina le nouveau calendrier. En 1794, il fait démolir le clocher roman de l'église et récupéra les cloches. Il fit graver (inscription toujours visible) : " Le peuple français reconnait l'Etre Suprême et l'immortalité de l'âme". Un petit triangle équilatéral à côté du mot "âme" révèle, comme une signature, l'adhésion de Gilbert Romme à la loge des "Neuf Sœurs". Pour échapper au couperet de la guillotine, il préfère se suicider au poignard.

 

 Le conventionnel Gilbert Romme a laissé un vif souvenir à Abzac. Ses options idéologiques et sa volonté d'entreprendre l'ont conduit à vouloir transformer en fonderie de canon, sous le nom de GARDORISLE  (Garonne, Dordogne et Isle), le moulin d'Abzac, aujourd'hui siège d'une entreprise industrielle.

 texte aimablement fourni par Jean Louis d'ROMME_frAnglade

jl.danglade@abzac.fr

http://www.abzac.com

 

les pages ont été reproduites telles quelles ont été scannées, en tenant compte des renvois bas de page:

 LES INDUSTRIES DE GUERRE A BORDEAUX PENDANT LA RÉVOLUTION de JACQUES WOEVRE
II. - LA FABRICATION DES CANONS ET DES AFFUTS (Suite et fin).


( Suite 1)
Si la fabrication des affûts donna des résultats appréciables, il n'en fut pas de même des essais que l'on fit pour établir à Bordeaux et dans le département de la Gironde des fonderies de canons. Ces essais échouèrent piteusement.

Dès le mois de septembre 1792, lorsqu'on se décida à doter chaque bataillon de la garde nationale bordelaise de deux canons de bronze, la municipalité reçut des offres pour l'organisation d'une fonderie à Bordeaux. On trouve relaté, en effet, dans le procès-verbal de la séance du 18 septembre, que le sieur Ampoulange a demandé à couler deux canons pour essai et que le sieur Lasnier se charge de les tourner et de les forer 2. La municipalité accueillit favorablement cette requête et réserva , à cet effet, mille livres de bronze provenant de la statue de Louis, XV et du tombeau de Mgr de Candale3. « Les artistes» choisirent pour atelier le bâtiment qui se trouvait dans une cour du séminaire Saint-Raphaël, en face de l'église Sainte-Eulalie. On y avait fondu, en 1775, la Grosse-Cloche; les fourneaux existaient encore4. L'organisation de cet atelier fut très longue. Le séminaire n'eut, d'ailleurs, qu'à se plaindre du voisinage; les ouvriers, en effet, plusieurs fois le mirent au pillage, forçant les portes, enlevant les ferrures, les lits, les rideaux, etc 5. Et lorsqu'en janvier 1793, tout fut préparé, les deux coulées qu'on fit manquèrent; il fallut refondre les pièces ailleurs6.
L'idée fut reprise par l'administration départementale en avril 1793. Elle choisit pour local le Château-Trompette. On décida d’utiliser les bâtiments du fort pour la fonderie proprement dite et ...

 

1. Voir Revue historique de Bordeaux, 1915, n° 5, p. 241-252, et 1916, n° l, p. 37-45.
2. Arch. mun., D 99.
3. Rapport. (Arch. dép., L 992.)
4. Arch. mun., D 142, 18 septembre 1792.
5. Lettre de Bernada, 14 janvier 1793. (Arch. mun., N 106.)
6. Lettre de la municipalité de Bordeaux à celle de Rodez, 22 avril. (Arch. mun., D 143.)

 ...de construire dans la cour intérieure un hangar pour l'atelier de forage. Le devis des travaux d'installation s'éleva à 200,880 livres1. On se proposait d'y fabriquer des pièces d'artillerie d'un modèle nouveau, que venait d'inventer le citoyen Duvernay. C'était « une pièce de 4 ou environ, du meilleur fer qui se puisse trouver… destinée à tirer directement à courte touche sur affût sans roue … ». « Elle était, écrit un contemporain, très ingénieuse et infiniment utile pour la guerre de poste et dans les pays difficiles, tant de marais que de montagne2. »
Mais, faute d'argent, faute aussi de pouvoir se procurer de bons matériaux3, l'entreprise était à peine ébauchée lorsque les représentants Ysabeau et Tallien vinrent à Bordeaux inaugurer la Terreur. Ils firent reprendre les travaux d'installation et, à la fin d'octobre 1793, Mainville pouvait écrire: « Déjà le bâtiment en est très avancé, ainsi que tout ce qui doit servir à la mécanique de la fonderie, et nous espérons être sous peu en état de prouver qu'il peut sortir de notre atelier des pièces de canon très bien conditionnées4. » C'était beaucoup de présomption de sa part, car il eut toutes les peines du monde à réunir les matériaux pour construire les fourneaux5, et lorsque tout fut aménagé, il ne put jamais trouver des ouvriers connaissant l'art « de muter le bronze en canon » .6 Mainville dut se contenter alors de faire couler des boulets dans l'atelier du Château-Trompette qui, depuis la Terreur, s'appelait Fort de la Révolution 7.

Ce ne devait pas être la seule tentative faite pour doter le département d'une fonderie de canons. Il y en eut une autre à la fin de l'an Ill, conçue sur un plan beaucoup plus vaste, mais qui devait tout aussi misérablement échouer.
Le représentant du peuple Romme, ayant été envoyé en mission dans la Dordogne « et autres départements circonvoisins») pour y établir des fabriques d'armes, crut découvrir sur les bords de la...

 1. Arch. Dép., L 473.
2. Lettre de Wormeselle au général Lacuée. (Arch. dép., L 973 et 993.)
3. Les briques utilisées pour la construction d'un fourneau à reverbère se vitrifièrent et tout s'écroula, (Arch. dép., L 473.)
4. Arch. dép., L 473.
5. Pétition de Mainville au district de Bordeaux pour forcer les matelots de Bourg à transporter de la pierre. (Arch. dép., L 1200.)
6. Arch. Dép., L 473.
7. Arch. dép., L 1383.

 ...rivière l'Isle, à Abzac, dans le district de Libourne, un terrain tout à fait approprié à une fondation de ce genre. Il y avait là un vaste moulin appartenant à la Nation1. Et ce qui séduisit surtout le représentant, ce fut non seulement « l'abondance des eaux, l'étendue, la distribution et la solidité des bâtiments », mais aussi la navigabilité de la rivière l'Isle et la proximité de Libourne « à porté de recevoir des approvisionnements de toute part par la Garonne, la Dordogne et la mer ». Dans la pensée de Romme, cet établissement devait être, non seulement une fabrique de canons, mais aussi une école professionnelle2: « L'établissement d'Abzac sera l'école primaire où les jeunes citoyens iront s'essayer à la tempérance, à l'ordre, au travail et à toutes les vertus civiques. Là, ils apprendront par quels procédés l'homme s'empare des éléments, calcule leur force et les dirige à son gré3 …» Et ce représentant philanthrope entendait dans son usine reconstituer la famille, en donnant du travail aux femmes et aux enfants. Il était persuadé qu'ainsi « les ouvriers, dont les yeux et le cœur sont réjouis par la présence de tout ce qui leur est cher », mettraient plus d'ardeur à leur tâche4.
Romme voulut ensuite donner un nom nouveau à sa fabrique naissante. Père du calendrier républicain, il s'inspira de la nature et forgea le mot barbare de Gar-dor-ile, fait des premières lettres des rivières Garonne et Dordogne, auxquelles il ajouta l'Isle mal orthographié.
Les plans furent de suite dressés par les ingénieurs Lamothe et Mathieu5. On y prévoyait quatre fourneaux à reverbère de grande capacité et une machine mue par une chute d'eau, pouvant permettre de forer à la fois dix pièces de canon. Des bâtiments extrêmement conséquents devaient être ajoutés à ceux qui existaient déjà, pour l'organisation des divers services.
On se mit aussitôt à la besogne. Le 4 messidor an II, les fermiers du moulin d'Abzac furent invités par le district de Libourne à vider les lieux et une indemnité leur fut versée. Le 18, on vendit sept meules et autres effets provenant du moulin, « à l'exception de la machine économique qui pourrait être utile à la fonderie de canon »6.

 
1. Il provenait de Roussel de Goderville aîné, émigré.
2. Arrêté du rep. Romme, 3 messidor II. (Arch. dép., L 1834.)
3. Adresse du district de Libourne à ses concitoyens. (Arch. dép., L 1382.)
4. lbid.
5. On trouve aux Arch. dép., L 999, la photographie d'un plan de la fonderie. L'original est entre les mains de M. Roger d'Anglade, qui bien voulu nous le communiquer et en autoriser la reproduction avec une bonne grâce dont nous lui exprimons notre vive reconnaissance.
6. Arch. dép., L 1834.

Romme arriva à Libourne quelques jours après et il se rendit auprès du Conseil général du district pour lui recommander son entreprise. Prévoyant des difficultés, il insista auprès des administrateurs pour l'organisation des brigades de gendarmerie. Détail curieux: en pénétrant dans la ville de Libourne, une chose avait choqué ce très pur jacobin. Les portes de ville existaient, paraît-il, encore et sur les antiques murailles on voyait des créneaux. « Romme fit sentir, nous dit le procès-verbal, que tous ces signes d'esclavage ne pouvaient convenir chez un peuple libre1. » Et ce grand ennemi de la féodalité ne trouva cependant d'autre moyen pour construire sa fonderie que de faire comme les féodaux du Moyen-âge lorsqu'ils voulaient édifier un château. Il ordonna, le 4 thermidor an II, la mise en réquisition des corps de métier nécessaires et, en vertu de cet arrêté, de tous les points du district on assembla, de gré ou de force des maçons, des tailleurs de pierre, des carriers, des serruriers, des forgerons, des scieurs de long et des tuiliers avec leurs outils2. Il réquisitionna aussi les matières premières. Le fer d'abord: toutes les os municipalités durent envoyer à Abzac « tous les fers forgés, quelle que soit leur dimension ... en laissant toutefois aux besoins de l’ agriculture et du charonnage le fer strictement nécessaire » 3. On fit venir la pierre de Lussac, de Montagne, de Fronsac et de Saint-Émilion. A Branne, on se procura la chaux, la brique et la tuile, cette dernière « au prix exorbitamment cher », d'une livre pièce. Aussi Romme trouva-t-il plus économique de décarreler et découvrir les églises du voisinage4. Le charbon arriva par eau de Bergerac et, pour les besoins du personnel et du représentant, on déménagea le mobilier du château de Vayres, qui appartenait à l'émigré de Gourgues. On transporta également à la fonderie l'horloge de l'abbaye de Faize5.
Romme mit à la tête de l'entreprise un personnel nombreux et assez bien rétribué. Il y avait d'abord deux directeurs, les citoyens Lamothe et Péronneau, qui touchaient 650 livres chacun par mois; un sous-directeur, qui s'appelait Barbier, et recevait 320 livres; un commis de division, un surveillant et un garde-magasin, à 70 livres par décade. L'école industrielle s'ouvrit avec « quatre élèves révolutionnaires », auxquels on donnait par mois une rétribution de ...

 1. Séance du 4 thermidor soir. (Arch. dép., L 1834.)
2. Arch. dép., L 999.
3. Arch. dép., L. 1834.
4. Arch. dép., L 999.
5. lbid.

 ...50 livres. Leur instituteur, le citoyen Garrois, en recevait autant par décade1.

 Le salaire des ouvriers était de six livres par jour. Seuls, les cinq charpentiers envoyés de Paris par le Comité de Salut public touchaient neuf livre. Il y avait en plus des gratifications « d'activité de travail », sous forme de bons remboursables en argent, que l'on donnait aux ouvriers « qui ont montré le plus de zèle»2. Enfin, Romme admit le principe de l'indemnité au cas d'accident du travail, et le 28 thermidor un jeune ouvrier, nommé Obussier, s'étant cassé le bras au cours de la démolition d'un vieux magasin, le représentant lui alloua 4 sous par jour jusqu'à complète guérison et les frais médicaux3.

Mais, malgré les gratifications, l'état d'esprit des ouvriers fut mauvais dès le début. Et cela se comprend. Ce n'est pas impunément qu'on arrache des individus à leurs occupations habituelles. Ils ne songèrent qu'à s'échapper. Dès le 3 fructidor, « une fermentation sourde » est remarquée dans les chantiers, et le directeur en attribue la cause « à la malveillance de quelques traîtres inconnus, par suite du plan de désorganisation au moyen duquel on veut étouffer cet établissement naissant»4. La création de cette fonderie ne paraît pas, en effet, avoir été très bien vue dans le pays. La suppression du moulin avait dérangé bien des habitudes et l'arrivée de tous ces ouvriers avait amené un renchérissement des vivres. Aussi « les propos les plus décourageants» circulaient-ils à Libourne. « On dénigre hautement les travaux de la fonderie. On dit quelle est une nouvelle galère 5 …»

C'était un mauvais début, et l'établissement devait toujours s'en ressentir. Des difficultés surgirent de toutes parts. Les ouvriers ne travaillent pas. « Nous sommes très mécontents, écrit Lamothe au début de vendémiaire an III, de la plupart des maçons et des tailleurs de pierre de Libourne; ils sont paresseux, arrogants et indisciplinés. » Un d'entre eux a même maltraité plusieurs fois le surveillant 6. La plupart passent leur temps au cabaret et cependant entendent être payés. Le district de Libourne est obligé de prendre un arrêté à ce sujet, dans lequel il est dit que ceux des ouvriers « qui ...

 1. Arch. dép., L 998. Il Y avait même un jardinier pour cultiver le potager de l'usine. (Arch. dép., L 1864.) .
2. On trouve dans la liasse L 998 des états de ces gratifications,
3. Arch. dép., L 998.
4. Arch. dép., L 2268.
5. lbid.
6 . Ibid,

...seront trouvés dans les cabarets hors des heures des repas perdront pour la première fois la valeur de cinq journées de travail, et s'ils récidivent, ils seront saisis comme suspects et conduits au Comité révolutionnaire de Libourne»1 . L'application de cet arrêté causa encore des troubles: le 26 vendémiaire, au retour du dîner, « il y eut du bruit … Ils ont crié à l'Ancien Régime en faisant des gestes menaçants et en montrant le point à la figure du commis qui tenait la feuille. » II fallut faire venir la gendarmerie et conduire à Libourne les ouvriers les plus turbulents2.

Cependant, tant bien que mal, la fabrique s'édifiait. Le 7 brumaire, la direction écrivait: « Nos travaux sont dans la plus grande activité ; ... tous les obstacles sont vaincus et dans peu nous aurons à faire voir à nos ennemis intérieurs ce que peuvent des bras vraiment républicains3. » Mais l'anarchie gagna bientôt tous les services. Tout le monde voulait commander, et la surveillance était nulle. C'était le pillage. Partie des matières premières envoyées de Libourne disparaissaient en route. C'est ainsi qu'un chargement de I 0 000 quintaux de fer parvint à Gardorille avec un déficit de 872 livres, sans qu'il fût possible de savoir ce que c'était devenu4. Chose plus grave: des détournements furent constatés dans la caisse du comptable et cela eut des conséquences tragiques. Le caissier Dussault, pris la main dans le sac se suicida en se jetant dans l'Isle5 .
A la suite de cette affaire, le représentant du peuple, Legendre de la Nièvre6 visita la fonderie et y fit quelques réformes urgentes, Il réduisit considérablement le personnel de la direction, réglementa les charrois et renvoya aux armées un certain nombre d'exemptés. C'étaient les embusqués d'alors7.
L'entreprise semblait maintenant en bonne voie, et les constructions étaient poussées avec activité, lorsqu'une inondation vint tout compromettre. Une grande partie du terrain de la future fabrique fut envahie par l’eau et, dans la nuit du 16 au 17 prairial ...

 1. Arrêté du 24 vendémiaire, an III. (Arch. dép., L 2261.) •Z. Arch. dép., L 2261.
3. Ibid.
4. Arch. dép., L 1834.
5. Voir, sur cette affaire, les enquêtes et déclarations qui sont (lans les .liasses L 998 et 999. - Dussault spéculait sur les denrées coloniales; le montant de ses détournements' ,'élevait à 44,542 livres,
6. Depuis thermidor, il avait remplacé Romme à l'inspection des fonderies; celui-ci, en effet, n'ayant rien modifié de ses sentiments de Jacobin, avait été mis en disgrâce par le pouvoir central.
7. Arrêtés des 26 et 28 floréal an III ( Arch. dép., L 998-999.)

 ...an III, la rivière, gonflée par les pluies, rompit l'ancienne chaussée du moulin sur une grande longueur. Le dommage était important et entraînait des réparations très coûteuses1.
L'événement produisit une fâcheuse impression en haut lieu. La fonderie avait déjà coûté 966,792 livres au 21 prairial, sans donner aucun résultat pratique. Elle fut, dès ce moment, condamnée. Le représentant Romme n'était plus là pour la défendre avec cette opiniâtreté légendaire qui l'avait fait surnommer le mulet d'Auvergne; compromis dans les événements de Prairial, il avait été emprisonné au Fort Taureau, près de Morlaix, puis, ramené à Paris, jugé et condamné à mort; il s'était suicidé.
Les travaux végétèrent encore pendant quelques mois . Pressentant la fin de l'entreprise, la direction laissait aller les choses; les ouvriers désertaient le travail, les uns pour retourner chez eux, les autres « cédant à l'âpre gain qui leur était offert par les habitants des campagnes », abandonnaient « leurs travaux pour se livrer à l'agriculture »2.
Dès le mois de fructidor an III, le bruit de la fermeture du chantier courut dans le pays 3. Un arrêté du directeur, daté du 14 vendémiaire an IV, lui donna le coup de grâce. A cette date, une très petite partie du plan primitif avait été exécutée. On avait seulement approprié les anciennes dépendances du moulin et construit une petite fonderie et une boulangerie dans la partie sud; enfin, à cheval sur l'Isle, la plate-forme.sur laquelle on devait édifier la forerie était seule bâtie 4 . Le tout avec le château, le jardin et les terres labourables, d'une contenance de 115 journaux, fut vendu, le 28 fructidor an IV, aux citoyens Rozier frères, de Bordeaux 5. Leurs descendants le possèdent encore. On excepta de la vente et on expédia aux fonderies de Ruelle et de l’Indret tous les objets propres à ces établissements; les bois, planches et outils de charpentier furent envoyés à l'arsenal de Rochefort6.
Telle est l'histoire de cette fonderie de Gardorille, entreprise chimérique d'un mathématicien représentant du peuple, qui avait tout prévu, sauf les inondations, et qui fit dépenser du coup à la ...

1. Constat du c. Dallard, ingénieur ordinaire de l'arrondissement de Libourne. (Arch. dép., L 1931.)
2. Arch. dép., L 999.
3. Arch. dép., L 998.
4. État des lieux après la cessation des travaux. (Arch. dép., Q 725.)
5. C'est Rozier et non Rozière, comme l'ont imprimé MM. Marion et Benzacar dans leur belle publication de Documents relatifs à la vente des Biens nationaux en Gironde, t. II, p. 332. - Cette vente se fit moyennant le prix de 174,204 livres.
6. Arch. dép., L 667.

 

...Nation, sans aucun profit réel, 1 003,956 livres 3 sols et 2 deniers, sans compter 83,083 livres de grains distribués aux ouvriers pour les empêcher de mourir de faim1.
Le département de la Gironde n'eut donc pas de fonderie. Mais la ville de Bordeaux fournit abondamment en matière première les fabriques de canons des autres régions, en particulier celles de Rochefort, de Toulouse et de Montauban.
C'est aux négociants bordelais que s'adressèrent le plus souvent le général Lacuée et les commissaires des guerres pour obtenir le cuivre dont ils avaient besoin. Ils se le procurèrent sur la place d’abord, en achetant tout ce qu'ils purent trouver dans le commerce, depuis le cuivre en lingot jusqu'aux doublages de vaisseaux. Mais le stock fut vite épuisé; l'on dut s'adresser à l'étranger et plus spécialement aux villes hanséatiques. Pour diminuer autant que possible les risques que la guerre sur mer faisait courir aux marchandises, nous voyons les négociants user de procédés analogues à ceux que les neutres emploient, de nos jours, pour ravitailler l’Allemagne. Une lettre de l'administrateur Vormeselle au général Lacuée nous en donne un exemple2. « Le négociant, lui mande-t-il le 28 février 1793, avec lequel nous avons traité (pour l'achat du cuivre 3, a écrit de suite à Hambourg et à Londres. On chargera à Hambourg pour le compte de Londres, adressé aux frères Lubbert, à Bordeaux. Les assurances seront faites à Londres. En sorte que, si le vaisseau est pris par les Anglais, il est réclamé par le négociant anglais et si l'amirauté le juge de bonne prise, les assurances seront encore payées par le commerce anglais. S'il arrive à bon port, nous n'aurons à payer que les assurances. Cette opération exige du secret et des précautions très délicates, mais nos marchands sont d'anciens hollandais, excellents républicains ... »
On utilisa aussi les vieux canons qui servaient de bornes, particulièrement aux abords des portes de ville. Il y en avait beaucoup sur le port pour amarrer les navires. Ceux-là, on les laissa d'abord, ne sachant trop comment les remplacer, mais, sous la Terreur, on ...

 

1. Arch. dép., L 999
2. Arch. dép., L 973.
3. MM. Lubbert et Dumas, de Hambourg.

 


...les enleva aussi et on mit à la place des piquets de bois, ce qui provoqua maints accidents1.
On organisa ensuite une véritable chasse au cuivre. Les batteries de cuisine des particuliers furent réquisitionnées2. Chez les émigrés, on enleva tous les objets de métal et même les couvertures des maisons3. On rassembla au Château-Trompette les cloches des églises et chapelles supprimées qui n'avaient pas été envoyées à la Monnaie et celles qui étaient « superflues »4. Une partie de ces cloches fut expédiée à Rochefort. Parmi elles, était le gros bourdon de Saint-Seurin et la cuve baptismale donnée en 1659 par François RaiIlard 5. Mais le métal de cloche était très peu prisé des fondeurs de canons. « Il est reconnu, écrit le directeur de l'arsenal Mainville, que ce métal ne peut entrer que dans un assez petit rapport dans celui qui doit former les bouches à feu et qu'il faut, pour avoir des pièces de bon service, que le cuivre rouge y soit dans la plus forte proportion, environ comme 4 est à 1 6. »
Plus tard, un arrêté du Comité de Salut public ordonna la descente de toutes les cloches, toujours sous prétexte d'en faire des canons. Mais les communes, à ce propos, eurent la prétention d'exiger, en retour de la cloche qu'elles livraient, la remise du canon que la cloche avait servi à fondre. Le gouvernement refusa d'entrer dans cette voie et, le 15 pluviôse an II, le ministre de la Guerre écrivit au département de la Gironde: « L'intention du législateur, en mettant à la disposition du Conseil exécutif les cloches de la République, était uniquement de féconder nos ressources en bouches à feu, d’accélérer la chute de la tyrannie et non d'accumuler dans les communes des armes qui leur sont inutiles7. » Beaucoup de municipalités refusèrent alors de livrer leurs cloches, prétextant leur grande utilité pour marquer les heures de travail. Le Comité de Salut public fut obligé d'en passer par là et, par un arrêté du ...

 

1. Lettre de la municipalité de Bordeaux à Lavau-Gayon, ordonnateur de la marine, 18 février 1793. (Arch. mun., D 142.)
2. Lettre du Comité de défense du département, mai 1793 (Arch. dép., L 992) et lettre de Wormeselle à Lacuée. (Arch. dép., L 973.)
3. Arrêté des représentants Baudot et Chaudron-Rousseau; 11 octobre 1793. (Arch. dép., L 478.)
4. Arch. dép., L. 473.
5. La cloche avait été fondue en 1761. Au moment du débarquement, elle tomba dans la Charente et y fut laissée. La cuve, abandonnée dans les jardins de la préfecture maritime, fut restituée à Saint-Seurin vers 1860.
6. Arch. dép., L 473. - C'est s'appuyant Sur cet argument que le métal des cloches est impropre à la fabrication des canons, que le cardin a) Donnet empêcha GambettH, en 1871, d'ordonner la fonte des cloches de Bordeaux. cf. Combes, Le Cardinal Donne! el la question monarchique, dans Le Correspondanl, 10 mai 1887, p. 447,
7. Areh. dép., L 978 bis,

 

...26 messidor an II, il reconnut le droit aux communes de garder une cloche 1.
Lorsqu'il n'y eut plus de cuivre à prendre nulle part, on fit la chasse à la fonte pour couler des canons de marine.
Une réquisition de tous les objets de fer coulé fut ordonnée par un arrêté du représentant Romme, daté de Périgueux, 4 prairial an II 2. Elle était destinée à fournir en métal la future fonderie de Gardorille. En vertu de cet arrêté, des commissaires allèrent chez les particuliers peser et enlever les poteries hors d'usage, les vieux fers de telle sorte et les plaques de foyer et de cheminée. Si le possesseur était « aisé », on lui prenait toutes ses plaques, sauf celles qu'il était trop coûteux de déplacer; s'il s'agissait de famille « peu aisée et vivant du travail de leurs bras » », on laissait une plaque. Les commissaires eurent ordre d'enlever aussi les chenets en fer coulé, « excepté chez celui qui n'en aurait qu'une seule paire; encore faudrait- il les échanger, s'ils étaient trop pesants, contre une paire plus légère3. » L’application de cette réquisition donna lieu à des protestations sans nombre . On fit valoir surtout les dangers d'incendie qui allaient résulter de l'enlèvement des plaques de foyer et le représentant Ysabeau tempéra l’arrêté de son collègue en décidant que, dans le département de la Gironde, toute famille aisée ou non garderait une plaque 4. C'est dans cette mesure que l'arrêté de Romme fut appliqué à Bordeaux: dans sept sections seulement, on enleva pour 955,514 livres de plaques de cheminée; à Libourne, on en prit pour 164,828 livres 5 .

Et c’est à cause de cette réquisition que l'on ne trouve plus, dans la Gironde , de ces jolies laques armoriées et historiées qui font le charme des vieilles cheminées des maisons de certaines contrées de la France. Mais il ne faut pas trop regretter leur absence en songeant qu'elles ont servi à armer ces vaillants corsaires qui, pendant les guerres de la Révolution et de l'Empire, promenèrent par toutes les mers, avec tant de gloire, le drapeau tricolore.

JACQUES WOEVRE.

 

1-Arch. dép., L. 1383. - Ceci n'est qu'un épisode dans l’'histoire des cloches pendant la Révolution, histoire qui n'a pas été écrite et mériterait de l'être.
2 Arch. dép.,L. 1927.
3. Arch.dép., L. 1382 .
4.Arch.dép., L 1327.
5. Arch.dép., L 1332. - Gardorille ne fonctionnant pas, on envoya toute cette fonte à Toulouse.

 

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