Mauriac vivant...
par Gaston DUTHURON
Président de la Société des Amis de François Mauriac, de l'Académie nationale des Sciences et Belles Lettres de Bordeaux.
Il a habité la Villa Bel Air à Saint Morillon, (site classé et éléments de la bâtisse classés Monum);
Pour comprendre Mauriac, il faut , comme il disait, le prendre avec sa motte.La motte, c'est à dire son pays. Son pays qui est le nôtre.
Il n'est lui même à Malagar qu'avec le jardin aux charmilles, la terrasse donnant sur les lointains, les vignes bleuies de sulfate et, à l'horizon, la forêt odorante où le balancement des cîmes a le bruit de la mer.
Il n'est lui même aussi qu'avec son autre patrie, celle des pins, du sable et des ruisseaux, Saint Symphorien, Balizac, Argelouse, ces noms qui chantent et brûlent dans la fournaise de l'été. Dans sa mémoire d'enfant entrèrent alors pour toujours ces étés implacables, traversés d'incendies de forêt et de tocsin qui arrachaient les villages à leur torpeur ; et aussi cette fraîcheur des soirs où un ruisseau appelé La Hure mêle son haleine trempée d'eau à l'odeur du brouillard.
Mauriac ne fait qu'un avec son pays. Il aimait notre village (Saint Morillon) dont un prêtre autrefois avait été son précepteur (l'Abbé Latrille, lorsque Mauriac était séminariste), et dans ce village , il aimait aussi sur une colline une vieille demeure ouvrant ses fenêtres sur le silence d'un paysage aux couleurs changeantes.
Tout ce que ce pays renferme de vignes, de pins et d'eaux vives s'exhale, chante et flamboie dans une langue ardente et pure, cette prose vivante de Mauriac, comme chargée des couleurs, des bruits et des odeurs de ce pays, c'est lui qu'elle nous livre, et sous les mots, on entend, malgré la mort, les battement d'un coeur toujours vivant.
"Ce que je dois à Bordeaux et à la lande, ce n'est pas l'âme tourmentée de mes personnages, qui est de tous les temps et de tous les pays. Ce que je dois à notre Guyenne, c'est son atmosphère, dont j'ai été pénétré dès l'enfance. Cet éternel orage qui rôde dans mes livres, ces lueurs d'incendie à leur horizon, voila ce que ma terre m'a donné.
J'ai raconté des histoires qui se passent partout dans le monde, mais je les aurais racontées d'un autre ton, avec une autre voix, si je n'avais pas été cet enfant qui, avant de s'endormir, écoutait une sirène de bateau la nuit, sur le port, si le pins du parc de mes grandes vacances n'avaient pas eu ce flanc déchiré qui était pour moi une blessure, si le sable n'avait pas brûlé mes pieds nus, si les ruisseaux glacés de ce pays de la soif, entre leurs aulnes ne m'avaient enchantés à jamais ."
F Mauriac Extrait du discours prononcé à Bordeaux lors de la cérémonie du 80° anniversaire
retrouvé dans le journal paroissial ( 1994 ) dont les pages patrimoine étaient rédigées par Mmes Boulon et Dubouilh