Extraits des Journaux Promenade cantonale : vers Cabanac (2001) et Saucats (2004) : auteurs Philippe Delpech et Piou Lacoste (SIGM)
voir aussi Anecdotes locales : Saucats , de l'âge du bronze à 1870
LAINE
JHJ LAINÉ
Au domaine de LAGULOUP à Saucats , le vicomte de Lainé (dessin ci-contre) planta chênes liège, châtaigniers et pins Laricio (cette essence de pin est originaire de Corse et ce bois est très recherché pour la menuiserie fine ou les grandes pièces de charpente).
Joseph Henri Joachim Lainé, né à Bordeaux le 11 Novembre 1767, mort à Paris le 17 Décembre 1835.
Il alla à Paris en 1787 ; y fut reçu avocat en 1789, et pris part aux évènements de 1789 comme partisan des principes nouveaux ; parti, peu de temps après pour Saint Domingue, où l'appelaient des intérêts de famille, il y aida de sa parole et de son épée ceux qui voulaient sauver la colonie ; il y fut blessé et, lorsque tout espoir fut perdu, il revint en France.
Il fut alors nommé administrateur du district de La Réole. Dans cette fonction qui arrachait sa famille à l'échafaud, il rendit les plus grands services à ses concitoyens ; il sauva tous les papiers de Montesquieu, ce qui lui permit de faire une étude approfondie de notre grand philosophe.
Membre de l'administration départementale de la Gironde durant les derniers mois de 1795, il apporta dans ces fonctions l'esprit de justice et de modération qui lui était propre. De 1796 à 1808, il exerça exclusivement sa profession d'avocat, s'y fit remarquer non seulement comme grand orateur, mais aussi comme homme d'un grand dévouement ; il soutint seul la famille de son frère aîné ruiné dans le commerce. Député au Corps Législatif de 1808 à 1814, Lainé osa combattre le système de confiscation que le gouvernement voulait introduire dans le code pénal, et fut en plusieurs circonstances un des rares députés qui osèrent rappeler à Napoléon les libertés qu'il avait étouffées dans leur berceau. Retiré à Bordeaux en 1814, il ne prit aucune part au mouvement qui ouvrit les portes au duc d'Angoulème, le 12 Mars ; cependant il fut nommé par ce prince, préfet provisoire de la Gironde. Envoyé à la Chambre des députés par notre département, il présida cette Assemblée et y protesta contre l'usurpation de Bonaparte au retour de l'île d'Elbe. Durant les Cent Jours il se déplaça en Hollande avec la duchesse d'Angoulême. Après la chute de l'Empire, il fut président de la nouvelle chambre des députés durant l'année 1815 et y défendit constamment jusqu'en 1824 les idées constitutionnelles et libérales. Elu membre de l'Académie Française le 21 Mars 1916, il reçu le 7 Mai suivant le porte feuille de Ministre de l'Intérieur ; provoqua en septembre de la même année cette mémorable ordonnance qui déclarait qu'aucun article de la Charte ne serait révisé et défendit constamment les principes tutélaires de nos libertés. Il remit son portefeuille à Mr Decazes le 29 Décembre 1818, après avoir signalé son passage au ministère par de sages mesures prises en faveur de nombreux établissements de bienfaisance ou d'instruction publique et il en sortit aussi pauvre que le jour où il était rentré.
A la rentrée du duc de Richelieu au ministère, il fut nommé président du conseil Royal de l'Instruction publique. Le 20 Décembre 1820, il se démit de ses fonctions et fut ministre secrétaire d'Etat sans portefeuille jusqu'au 14 Décembre 1821. Nommé pair de France avec le titre de Vicomte le 23 Décembre 1823, il défendit encore dans cette Chambre la liberté constitutionnelle.
En 1830 prêta serment au gouvernement de Juillet, garda son siège au Luxembourg, mais n'y pris plus la parole. Se retira dans son modeste domaine de Saucats (LAGULOUP), près Bordeaux, et s'y occupa de travaux purement littéraires. Revint à Paris vers 1835 et y mourut, célibataire, à la suite d'une longue maladie de poitrine, le 17 décembre 1835 ; il demanda à être enterré comme un pauvre et placé près de sa mère dans le cimetière du petit village où s'écoula son enfance.
Voici l'appréciation portée sur son compte par M. Vieillard : « Si Lainé eut toutes les qualités qui font l'homme de bien et le grand citoyen, il n'eut pas au même degré celles qui font l'homme d'Etat. Il ne connaissait qu'imparfaitement les hommes, et, invariable dans ses principes. il ne le fut pas toujours dans ses opinions. Son éloquence chaleureuse, entraînante, soutenue par la conviction, animée par les sentiments, était quelquefois trop sentencieuse et paraissait viser à l'effet. Membre du corps législatif de l'Empire, il envoyait son traitement de 10000 frs aux indigents de Bordeaux. Ministre de la Restauration, sa noble indigence ne dédaignait pas de recourir à ses collègues pour l'emprunt des riches accessoires d'ameublement qui lui étaient indispensables les jours de représentation. Louis XVIII a peint en une seule phrase ce caractère antique lorsqu'il a dit de Lainé : "Je n'oserai jamais demander une injustice à mon ministre, tant je sais qu'il a l'âme d'un Spartiate".
Sous la restauration, un partage entre l'aristocratie et la commune.
En 1826 le comte Jacques Maxime de Puységur avait revendiqué, titres à l'appui, la propriété de 18000 journaux de "Landes aujourd'hui appelées mal à propos communales et qui s'appelaient autrefois landes du Seigneur de Saucats". Notable éclairé et influent, membre actif de la franc-maçonnerie, Puységur chercha à reprendre possession de ses biens : à Salles il entra en conflit avec les habitants et il perdit son procès ce qui incita le comte à privilégier la conciliation. Il proposa une association d'intérêts entre la commune et lui : grâce à cette association, les landes de Saucats seront possédées en communauté par M de Puysegur et par la commune. Les habitants ne pourront refuser des l'aliénations progressives de terres : la partie du prix de vente revenant à la municipalité servira en priorité à financer l'assainissement des vacants. Les cultivateurs enverrons leurs troupeaux pacager librement sur toutes les landes qui n'auront pas encore été concédées. En contrepartie, chacun n'aura au parcours "que troupeaux nécessaires à l'engrais des terres déjà mis en culture ou qu'il y mettra par la suite". Quant au bétail provennant des cultures voisines, il sera expulsé des pâturages de Saucats. Cet arrangement extraordinaire règle l'épineuse question de la propriété des landes en même temps qu'il prépare la mise en valeur du désert. Cette transaction aussi ingénieuse porte certainement une illustre signature: à l'article 10 du contrat apparaît le nom du vicomte Lainé .
Extrait du livre de Jacques Sargos
Histoire de la forêt landaise. Du désert à l'age d'or. Edition l'horizon chimérique
Le 16 Juin 1831, constatant que « depuis 40 ans les biens de Mme la comtesse de Puysegur, héritière du baron de Pichard, propriétaire de tous les terrains non habités de Saucats (landes, terres vaines et vagues) étaient en possession de la commune par le fait de l'émigration du comte », il est proposé au Comte de Puysegur, qu'il accepte après discussion, de partager à moitié avec la commune « la propriété des terres vaines, vagues et landes » provenant du Baron de Pichard, la transaction portant sur 5906ha, 650a, 53ca. Le partage est approuvé par un ordonnance royale le 7 juillet 1837 ces transactions étant faites sous les auspices de Mr Lainé. Le vicomte de Lainé ministre de l'intérieur en 1815 et son neveu le vice amiral vicomte de Lainé séjournaient au château Laguloup. Cette propriété, alors de 400 hectares recèle un grand nombre d'essences d'arbres . Elle produisait à l'époque 6 tonneaux de vin rouge « excellents ordinaires » et 10 tonneaux de blanc.
En Mai 1840 dans le but d'assécher les landes, le comte de Puysegur fait creuser des fossés, pour emmener les eaux dans le Saucats, contre l'avis de M. Lainé qui craint pour ses moulins situés en aval.
En Février 1867, 1314 ha ont été vendus aux propriétaires « ayant feu sur Saucats, par lots de 6 hectares si ces lots sont au droit de leurs propriétés ». En Février 1870, la municipalité n'ayant pas l'intention d'ensemencer les landes communales, demande au préfet l'autorisation de les vendre.
La gestion d'une forêt de pins dans les années 1830
En 1830, le comte Jacques-Maxime de Puységur propose de constituer une « association pour l'ensemencement d'une forêt dans la commune de Saucats » où il possédait d'anciennes landes seigneuriales. La sylviculture du pin maritime, qu'il qualifie de «spéculation séculaire », s'y voit déjà entièrement rationalisée et se prête à des calculs de rentabilité
Les prix suivants sont exprimés en francs-or.
Le défrichement du terrain consiste ordinairement à retourner à la houe les gazons des plantes parasites, ce qu'on appelle trétiner la terre, (d'où les lieux dits Vertreytin et Le Treytin , voir toponymie par Mme Rigal ).
On sème ensuite, en saison convenable, 1/4 d'hectolitre de graine de pin par journal, et l'on couvre légèrement la semence avec la herse, ou plus simplement avec un fagot de ronces ou ajoncs épineux que l'on promène sur la surface du terrain ensemencé.
Montant de la dépense pour un journal : 32fr.50c
Voyons maintenant ce que va rapporter au propriétaire ce journal ensemencé, lorsqu'il trouve rapproché des vignobles, par exemple Saucats.
La huitième année révolue après le semis, on commence l'éclaircissage, et on tire de ce journal deux milliers d'oeuvres pour la vigne. Soit un rapport de 30 frs.
A la dixième année on répète le même éclaircissage qui produit le même résultat et ainsi de suite jusqu'à vingt ans. Ainsi tous les ans le propriétaire tire de ce journal un produit d'une égale valeur à sa mise de fond.
Lorsque les produits de l'éclaircissage ont une dimension trop forte pour servir de tuteurs à la vigne, on les exploite en bois de corde et en carassone commune jusqu'à l'âge de 25 ans. A 25 ans, l'éclaircissage fournit des chevrons de charpente, de la carassone et de la bûche de pin.
A 30 ans l'arbre commence à donner la résine. Les 200 arbres de ce journal donneront 7,5cts par arbre soit un revenu de 15 frs par an.
A 40 ans il ne doit rester que 150 arbres sur ce journal. A 40 ans un pin vaut à Saucats 3frs, à 60 ans il vaut 6frs et de 80 à 100 ans il vaut 10f rs.
Ainsi, un journal de pins bien emménagés vaut en ce moment : à 40 ans 450f rs et à 80 ans 1500f rs.
PAROLES DE LANUSQUET ou polémique coloniale inspirée par Jacques Sargos ; texte par Lacoste et Delpech
Tout le monde connaît les noms de Brémontier, Chambrelent et Napoléon III mais qui se souvient de Desbiey, Baurein, Deschamps, Lainé et Crouzet ? Tout le monde sait qu'avant le XIX° siècle les landes étaint un pays désertique et déshérité, mais qui sait que le commerce de la poix est attesté à Biganos chez les Romains, que les ports de Beautiran et de l'Isle-St-Georges exportaient principalement des cargaisons de pins en planches et en échalas ?
En fait il y a toujours eu des bois dans ce désert : chênes pédonculés dans les forêts galeries qui longent les rivières, chêne Tauzin sur les parties bien drainées et surtout pin maritime sur les littoral, les bords de rivières et sur les vieilles dunes. Ce bois était difficile à commercialiser non pas parce qu'il était mauvais mais parce que le mauvais état des voies de communication le rendait intransportable. On gemmait " à mort " les pins dans les forêts de La Teste ou du Marensin puis on laissait les arbres pourrir sur pied. En effet c'est la récolte de la résine qui intéresse le landais et dès le XV° siècle apparaît dans les textes le roussiney , l'homme qui récolte la roussine (résine) dans la ségue (forêt de pins). L'exploitation de la résine est déjà très élaborée : même si longtemps on a gemmé au crot (la résine se déversant dans un trou au pied du pin) avant la mise au point du pot de résine, on savait déjà du temps des romains distiller ou cuire la résine pour fabriquer poix et goudrons. Plus tard c'est dans les " barques" que l'on laissera s'éclaircir la résine et au XIX° de grandes cornues de cuivre distilleront l'essence de térébenthine et la précieuse colophane.
Le landais connaissait bien le pin fournisseur de résine, mais il savait aussi que drainer des parcelles pour réaliser des semis de pins était la seule façon de rentabiliser cette terre acide et humide.
C'est au cours du XIX° et surtout au milieu du XX °siècle que l'on s'est rendu compte que la notoriété de découvreur de Brémontier (sur la technique de fixation des dunes) et de Chambrelent (assainissement et ensemencement en pins) était passablement usurpée. En effet c'est bien avant la loi sur le boisement de 1857 et les subventions départementales que les propriétaires landais expérimentent la fixation des sables, l'assainissement, et défrichent.
L'ensemencement en pin des landes après assainissement commence dès le XVI°, d'abord dans le Marensin, le Born et le Buch puis se sont les vallées proches de zones viticoles (Médoc, Graves) qui s'y mettent : le pin devient le premier support de la vigne bien avant l'invention du fil de fer et l'arrivée de l'acacia ; selon Jouannet on trouvait divers types d'échalas : l’échalas de pied, qui était l'arbre coupé à raz de terre, à l'âge de dix à douze ans, grossièrement écorcé; la carrassonne, provenant d'un pin d'au moins vingt ans que l'on refendait ; la carrassonne gemmée, tirée du tronc d'un pin gemmé, meilleure, plus durable et plus chère.
Puis dès le début du XVIII° des projets de mise en valeur des landes de Gascogne se succèdent avec en priorité l'assainissement. C'est l'époque des grands projets et l'on parle de canaux : 4 projets s'affronteront pendant plus de 100 ans : le canal des lacs landais, le canal des petites Landes, le canal des grandes Landes qui reliaient la Garonne à l'Adour et le canal d'Arcachon à la Garonne. Dans ces projets on oubliait souvent l'ensablement rapide des ouvrages... Des essais ont été faits entre les lacs landais et même à Belin-Beliet où un bout du canal de la grande Lande fut construit. Ce dernier grand projet faillit être réalisé sous la houlette de Claude Deschamps l'ingénieur qui a construit le premier pont de Bordeaux ainsi que les entrepôts Lainé aujourd'hui le musée CAPC . Mais nous reviendrons sur ces études lorsque nous irons à Saucats au cours d'une autre promenade.
Dans un même temps sous l'influence du mouvement physiocratique des projets de colonisation sont dans l'air du temps et des programmes d'agriculture délirants sont mis en place : arachide, mûriers, prairies grasses et grosses vaches, dromadaires... et de nombreuses personnalités y laisseront leur fortune.
Mais me direz vous puisque les landais savaient tout faire seuls pourquoi ne le faisaient ils pas? L'écueil principal résidait dans les immenses paturages qu'offrait la lande aux landais bien sûr mais aussi aux basques et aux béarnais. Ce que nous appelons le désert était un vaste territoire de transhumances. Des droits existaient sur les vacants, soit avec les seigneurs et les paroisses, soit avec les communes après la révolution. Pendant 200 ans nous assisterons à une guerre entre les bergers et les propriétaires de pinardars. Semis massacrés par les bêtes, forêts incendiées, procès la plus part du temps perdus par les propriétaires même si Cayenne accueilla de nombreux pasteurs. La loi de 1857 qui obligeait les communes à vendre ou planter leurs communaux déclencha de grands incendies. il fallut la guerre de sécession américaine pour que le prix de la résine et des produits dérivés flambent enrichissant les communes, les propriétaires et un peu ces bergers devenus résiniers, futurs prolétaires qu'il faudra réprimer lors de la récession inévitable.
Les moutons et chèvres ont disparus, les airiaux se sont vidés et le pin sert à faire du papier toilette. Bravo! (à suivre)
(Vers 1840 : Hector Serres,pharmacien chimiste dacquois et Pierre Hugues,avocat et agriculteur bordelais, eurent l'idée d'un nouveau système de récolte de la résine : créer une auge en terre cuite et utiliser un système ascentionnel. En tant qu'avocat, Pierre Hugues fût le plus rapide et breveta le fameux pot de résine...) M.Perroy SIGM.