texte présenté lors de l'AG du SIGM en avril 2011, proposé par Mme Puel de Sigoyer
à lire sur ce site les châteaux de Cadaujac
Château Bardins
Sur les terres actuelles de Bardins, dès 1350, on trouve trace d’un moulin situé sur l’Eau Blanche. Les archives révèlent qu’en 1573, Jean Ibarolla, écuyer, Sieur de Bardin, est condamné pour le non paiement d’une rente relative à ce moulin et ses dépendances.
Actuelle propriétaire du château Bardins, Mme Puel mentionne, dans l’historique de son domaine, la présence d’une teinturerie dans les dépendances du moulin. Une Maison Noble aurait existé sur le site avant le XIVème siècle. De plus, sur ces terres, s’élève un pigeonnier très ancien : aucune archive ne révèle son origine.
En 1849, M. Pierre Bellarmin Tandonnet achète la propriété et fait construire le château.
La façade Sud est composée d’un corps de logis encadré de deux ailes en avancée. Une corniche crénelée souligne la base de la toiture des ailes et de la tour circulaire située à l’angle de rencontre du corps de logis et de l’aile Ouest. Celle-ci est percée d’une porte et d’une fenêtre (à l’étage), toutes deux plein cintre. La porte est coiffée d’un relief de pierre à angle saillant alors que celui de la fenêtre en épouse la forme arrondie. Gravée dans le mur, on peut lire la date de 1850.
La tour abrite un escalier qui permet l’accès au premier étage. S’appuyant sur le corps de logis, accolé à l’aile Est, se trouve un balcon ceinturé de balustres. Le même type de balustres couronne une avancée de bâtiments en rez-de-chaussée côté Ouest.
Un fronton de pierre sculptée relie le haut de l’aile Est à la tour. L’harmonie des volumes et les décors architecturaux en font une gracieuse demeure. Il est à noter, au Sud Est de la propriété, la présence d’une grotte abritant une Vierge, construite à l’identique de celle de Lourdes. Elle fut édifiée à l’initiative de Mme Chancel alors propriétaire de Bardins. J’ai eu la chance d’entendre de la bouche d’un membre de sa famille, M. Jacques Tandonnet, l’histoire perpétuée de cette grotte : alors que la grêle menaçait de détruire toute la récolte de raisins, Mme Chancel se mit à prier suppliant le ciel de l’épargner de ce désastre. Elle promit dans ses supplications de faire ériger une grotte à la gloire de la Vierge si ses prières étaient entendues. Une couronne de nuages sombres encercla le ciel de Bardins et un déluge de grêlons vint endommager toutes les récoltes alentours. Seul le vignoble de Mme Chancel fut épargné… un miracle ? Sans nul doute, une belle histoire !
Le petit-fils de Mme Chancel, M. Paul Tandonnet, vend le domaine en 1903 à M. Vincent. Le vignoble perd deux hectares au profit d’un parc d’agrément. La fille de M. Vincent épouse M. Camille de Bernardy de Sigoyer. Derrière ce nom, trois générations portent haut la réputation du vignoble, Bardins répondant à l’appellation des « Pessac-Léognan ».
Texte et photos Frédéric Durand archiviste
Sources :
- Archives privées de Madame Stella PUEL
- Archives communales de Cadaujac
- Archives départementales de la Gironde, séries H 613, H 821, H 826, H 836, H 884, G 646, 6 M 1338, 3 O 260, E dépôt 1003
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réplique de la grotte de Lourdes à Bardins
Situé au sud de l’Eau Blanche, de l’autre côté de la route nationale en vis-à-vis du domaine du Pont de Langon, il doit son nom à un moulin à eau beaucoup plus ancien qui existait au XIVème siècle sur le cours du ruisseau. Dès 1349, il est appelé « moulin de Bardin » dans une baillette consentie par les Bénédictins de Sainte-Croix de Bordeaux, ses seigneurs fonciers, mais il sera également appelé le moulin de Bardey, encore jusqu’au XXème siècle. Bardin prendra un « s » final au XIXème siècle. Le 26 janvier 1350, c’est Raimond « de Lavolvena », damoiseau, qui rend hommage aux moines, en présence de Raimond de Landiras, archidiacre de Médoc. Le 15 novembre 1441, un nouveau bail à fief est donné par l’abbé Henri, administrateur de l’abbaye Sainte-Croix, Gaillard Ros, prieur claustral, et d’autres religieux assemblés dans le cloître, en faveur d’Estienne de Calo, qui laissa peut-être son nom au lieu-dit Calot.
Puis le moulin va passer entre les mains de la famille Colom ou Coulom pendant près d’un siècle. Ainsi, des reconnaissances sont successivement effectuées par noble Pierre Colom le 30 septembre 1473 ; Bérard Colom, jurat de Bordeaux, le 21 février 1510 ; noble Jean de Colon, écuyer, fils d’Alain, le 8 mai 1535. En 1557, il appartient toujours à ce dernier, dit seigneur de « Coulomb ».
Mais le 10 mai 1561, une nouvelle reconnaissance est faite au nom de Jean Dibarola, écuyer, seigneur de Bardin. A partir du 14 avril 1568, l’abbaye de Sainte-Croix intente contre lui un long procès de cinq années pour une rente due sur son fief. La sentence du 3 juin 1573, le condamne finalement à exporler (assujettissement marqué par le paiement d’une redevance annuelle appelée cens ou agrière) le moulin et ses dépendances.
Le 19 mars 1611, une assignation est donnée à la réquisition de l’abbé de Sainte-Croix au Sieur Asdrubal Duplessy pour le paiement des rentes du moulin de Bardin. Il semble qu’au XVIIème siècle, il fut ensuite utilisé par un teinturier. Puis les meuniers réinvestiront les lieux, parmi lesquels ont été retrouvés : Jean Cante, époux de Marie Darieté, en 1726 ; Pierre Poujade, époux de Marguerite Lartigue, entre 1826 et 1830 ; Bertrand Graverau en 1828 ; Bernard Rossignol qui décède en 1830, époux de Jeanne Laribeaud ; la Veuve Rodrigue en 1884. En 1810, Eugène Bacon y est charpentier de moulin.
La maison noble de Bardin, dont la date de construction un peu plus au sud nous est inconnue, est quant à elle acquise par Geoffroy de Baritault, qui était avocat à la cour des Aides de Guyenne en 1663. Né vers 1634, il épouse le 12 juillet 1670 à Bordeaux, Catherine Duperier, fille de Pierre Duperier et Dame de Soussiran, veuve de Philippe Bardy dont elle hérite. Leur fille Thérèse de Baritault sera baptisée le 24 février 1673 dans la paroisse de Puy Paulin à Bordeaux. En 1677, le Sieur de Baritault est conseiller du Roi à la cour des Aides de Guyenne et demeure à Libourne, rue Sainte-Catherine. Mais il possède également une maison à Bordeaux rue Bourdeloise, dans la paroisse Saint-Michel, ainsi qu’une métairie à Targon et une autre à Saint-Léon.
Le 18 juin 1677 a lieu une saisie réelle sur ses biens de Cadaujac à la requête de Messire Jean Vincent Alain de la Vigerie, conseiller du Roi en sa cour du Parlement de Guyenne, demeurant à Marmande, à qui il devait la somme de 5312 livres 10 sols et intérêts par contrat d’obligation du 11 septembre 1663, devant Maître Chastaignier, notaire à Bordeaux. Le domaine consiste alors « en un corps de logis, grange, chai, cuvier, pressoir et autres vaisseaux vinaires, basse-cour, jardin, moulin à eau, terres, vignes, le tout en un tenant », plus une pièce de pré appelée « Cassou » de 4 journaux, une pièce d’aubarèdes [lieu planté d’aubiers, le saule blanc] de 3 journaux, une pièce de bauges appelée « A Lasan » de 25 journaux, une pièce de pré appelée « A Branne » de 3 journaux et une pièce de pré appelée « Le Pré du More ».
Les 20 et 27 juin, puis les 4 et 11 juillet 1677 ont lieu, « au-devant de la porte principale de l’église paroissiale de Cadaujac, à l’issue de la grande messe paroissiale », les criées des biens saisis, par l’huissier Charles Bon, « sergent royal du nombre des Quarante et immatriculé en la sénéchaussée et siège présidial de Guyenne ». Mais Dame Elisabeth de Claveau s’oppose aux saisies et criées car la somme de 16000 livres et intérêts lui est aussi due par Geoffroy de Baritault, par contrat de vente de l’office de conseiller en la cour des Aides de Guyenne à son défunt époux, Joseph de Calot.
Les choses vont ainsi traîner de longues années, période durant laquelle aura lieu à Cadaujac l’inhumation de Geoffroy de Baritault le 13 janvier 1690. En 1691, son fils aîné Pierre François de Baritault, écuyer, agissant tant en son nom que comme tuteur et curateur de ses frères et sœurs, renonce à la succession et François Girou, bourgeois de Paris, est créé curateur par justice à la succession vacante. Pierre François de Baritault, marié à Jeanne Rose Delaborde, demeure alors à Bourg. Mais il effectue tout de même quelques séjours à Cadaujac puisque le 3 septembre 1716 a lieu le baptême de sa fille Marie Rose Baritault (décédée le 4 novembre 1786 à Cadaujac également) et le 14 janvier 1719 celui de son fils Louis Godefroy Baritault (décédé le 19 janvier 1719 dans la paroisse).
Le 12 décembre 1733, Pierre Alain de la Vigerie, chevalier, conseiller du Roi en son grand conseil à Paris et maître des requêtes ordinaires de son hôtel, décide de poursuivre la requête de son père. Le 30 juillet 1735 a donc lieu la première d’une très longue série de mises à la vente et aux adjudications au Parquet de la cour de Paris, faute d’enchérisseurs. Le 20 juillet 1737, un arrêt de décret de la chambre des enquêtes du Parlement de Paris adjuge enfin à Noël Maillard, procureur de Sieur de la Vigerie, la maison noble de Bardin avec ses appartenances, dépendances, rentes, fiefs, et les deux métairies de Targon et Saint-Léon, pour 9000 livres.
Le 24 septembre suivant, Noël Maillard déclare au greffe de la cour que l’adjudication qui lui est revenue avait été faite pour et au profit de Sieur Jacques Joseph Tartas, contrôleur général des Bois, Domaines et Finances de Guyenne. Issu d’une ancienne famille bourgeoise qui donna un curé à Barsac, il se marie avec Catherine Aubeterre qui va lui donner deux filles : d’abord Thérèze Tartas qui épouse à Cadaujac, le 4 juillet 1770, Marc Antoine Deyrem, bourgeois de Bordeaux. De cette union va naître une fille, Thérèze Deyrem, le 14 juin 1772 dans la même paroisse. Puis Catherine Renée Tartas, mariée en août 1775 à Cadaujac avec Maître Jean Baptiste Lafosse, juge royal de la ville de Bourg dont l’ancien Maire, le Sieur Joseph Lafosse, était son père.
Le Sieur Tartas père décède en 1776 mais le domaine et le moulin vont garder son nom et passer par testament à sa veuve. Le 21 septembre 1777, devant Maître Destang, notaire à Léognan, elle donne à titre de ferme en faveur d’Arnaud Hazera, meunier habitant Villenave d’Ornon, « le moulin à eau avec ses fuites et défuites », consistant en « une chambre, un cuvier, append, jardin joignant ledit moulin et le tout en dépendant ensemble les deux prairies qui sont joignant ledit moulin avec le droit par ledit preneur de faire pacager dans les aubarèdes ». La Veuve Tartas promet en outre de « faire faire aux bâtiments seulement les réparations utiles et nécessaires afin qu’ils soient clos et étanches. Les autres réparations et entretiens du moulin seront à la charge dudit preneur comme les empalages, jumelles, tremuges, tourrelles et généralement tout ce qui sera nécessaire pour faire moudre et exploiter ledit moulin ». Le bail est consenti pour cinq années à compter du 10 août 1777 jusqu’au 10 août 1782, pour 400 livres par an. En 1792, le domaine comprend également une écurie, plus une chambre et un chai au lieu-dit de La Matole. En l’An 9 (1800-1801), c’est Jean Labasque qui en est le métayer.
Après le décès de la Veuve Tartas en l’An 6 (1797-1798) et à cause de la minorité de l’un de ses héritiers, il est fait un partage en justice de ses biens le 9 avril 1805 (20 germinal An 13) par jugement du tribunal civil de Bordeaux. Le domaine de Tartas est alors divisé en deux lots : le premier « composé de la maison principale, chai, cuvier, vaisseaux vinaires, maison de paysan, écuries, boulangerie, hangar […], d’un bois de chêne de haute futaie, de prairies, terres, beaujas, carrières, oseraies et vignes perdues, qui autrefois faisaient le principal revenu de ce domaine ». Il est indiqué que la toiture est pareillement en « mauvais état ». Après tirage au sort, c’est la Dame Jeanne Louise Lafosse, épouse de Leblanc de Saint-Just et sœur de Jean Baptiste Lafosse, qui le reçoit. Les lieux seront d’ailleurs appelés « Sainjus » (sic) sur le cadastre de 1810. Le second lot est quant à lui constitué de l’« ancien moulin à eau à une meule, qu’on n’exploitait qu’avec des mulets et des ânes, les charrettes ne pouvant y aboutir à défaut de chemin ; de prairies, aubarèdes, beaujas » et de la métairie de la Matole « composée de terres à blés, vignes perdues et quelques bois de chêne ». Il échoit à Thérèze Deyrem née Tartas. Les registres d’état civil nous apprennent que le 10 octobre 1805 (18 vendémiaire An 14), Antoine Degé, ancien officier municipal, époux de Michelle Dutou, décède à l’âge de 55 ans « en sa maison » au moulin de Tartas qui sans doute a déjà été mis en location. C’est la famille Lafosse qui va réunir successivement les différentes parties du domaine pour son compte.
Le 26 mai 1805 (6 prairial An 13), devant Maître Gaussens, notaire à Nérac, les successions de Jean Baptiste Lafosse et Renée Tartas sont partagées entre leurs deux enfants, Rose Zoé Eléonore Lafosse, mariée avec Nicolas Leblanc de Saint-Just, et Jean Joseph Almanzor Lafosse, né à Bourg et propriétaire à Salignac. Ce dernier passe un contrat de mariage le 5 novembre 1808, devant Maître Brannens et son collègue, notaires à Bordeaux, afin d’épouser Mlle Thérèse Fabre, née à Saint-Pétersbourg, en Russie, et demeurant à Bordeaux (39, façade des Chartrons), fille du négociant Jean Fabre et de Françoise Nadirville. En faveur de cette union, Monsieur Leblanc de Saint-Just, demeurant à Cadaujac et agissant pour et au nom de Jeanne Louise Lafosse, sa femme, institue le futur marié Lafosse héritier général et universel de ladite Jeanne Louise Lafosse, sa tante.
Le 24 janvier 1810, devant Maître Campagne, notaire à Léognan, Rose Zoé Eléonore Leblanc de Saint-Just, qui va bientôt donner naissance à Cadaujac d’une petite fille prénommée Marie Louise, le 2 février suivant, se sépare au cours d’un échange en faveur de son frère Almanzor Lafosse de ce qu’on appelle alors le « manoir de Bardin » et du domaine de Tartas, « consistant en maison de maître, logement de cultivateurs, autres bâtiments, jardin, vignes, terres labourables, prairies, bois, jaugas [lieu planté d’ajoncs], carrières, vimières [lieu planté d’osier] et aubarèdes, le tout en un tenant, de la contenance d’environ 30 ha (90 journaux) ». Les bois et les friches y sont alors plus nombreux que la vigne qui ne représente que 3 ha 61 a 20 ca de superficie.
Le 1er août 1810, devant Maître Bizas et son collègue, notaires à Bordeaux, la Veuve Deyrem, demeurant sur la paroisse de Salignac, finit par vendre à son neveu Lafosse, bourgeois demeurant à Bordeaux chez ses beaux-parents, le petit domaine de la métairie de la Matole, d’environ 4 ha, « consistant en bâtiments, terres labourables, vignes, prairies, pacage, bois et autre nature de fonds », pour 2000 francs. Par contre, le 28 août 1811, elle passe un traité de vente (confirmé le 12 juillet 1813 devant Maître Bizat et son collègue, notaires à Bordeaux) avec Jean Menot Maurin, propriétaire à Cadaujac, parent et associé de commerce du père de Thérèze Fabre, l’épouse de son neveu, pour le moulin de Bardin dont le jardin est alors renfermé par des haies, un corps de bâtiment séparé et d’autres dépendances, le tout pour 8000 francs. On apprend que le moulin souffre à cette époque de fuite d’eau : « Attendu que le moulin vendu est en état de souffrance, à cause des réparations qui y sont indispensables auxquelles ladite Dame n’a pas pu pourvoir, elle a convenu que ledit Sieur Maurin pourra les faire faire sans nul retard, ainsi que tous les changements qu’il jugera à propos ».
Ce n’est que le 14 février 1816, devant Maître Brannens et son collègue, notaires à Bordeaux, que Marie Halty, veuve de Monsieur Menot Maurin, décédé sans enfants, fait donation, sous réserve de l’usufruit durant sa vie, à Thérèse Fabre, du moulin de Tartas et ses dépendances, qu’elle avait reçu par testament de son défunt époux le 25 avril 1809 (reçu par Maître Brannens, notaire à Bordeaux). Le couple Lafosse accepte la donation le 14 mars suivant et l’ensemble de la propriété va désormais s’appeler, et pour longtemps (au moins jusqu’en 1910), « A Lafosse ».
Almanzor Lafosse, commissaire priseur en demeure à Bordeaux (15, rue Tustat), devient le père d’un petit Marc Alexandre, né à Cadaujac le 26 novembre 1811. Suivront bientôt Pierre Frédéric le 25 juillet 1813 à Cadaujac, Jean Henri le 11 mai 1815, Zélia, Louisa, Delphine, Adolphe et Charles certainement à Bordeaux. A partir de 1816, le Sieur Lafosse effectue un bref passage au conseil municipal de la commune, jusqu’à sa démission en 1818, suite à une affaire qui l’oppose à la Municipalité.
Le 29 juillet 1817, des habitants et des propriétaires de Cadaujac et de Villenave d’Ornon se plaignent contre lui parce que « de son autorité privée », il a fait creuser un fossé transversal de plus de 2 m de largeur et plein d’eau à chaque extrémité d’un chemin vicinal appelé de Lasan, qui communiquait directement entre les deux communes. La clie qui doit servir à fermer la vimière de Monsieur de Letang pour entrer et sortir sur ledit chemin devenant alors inutile. Le chemin fermé des deux côtés, les habitants constatent amèrement qu’il n’est « plus possible d’y passer, ni à pied, ni à cheval, ni avec bœuf ni charrette de quelle manière que ce puisse être et qu’il est entièrement supprimé ». Le 31 juillet 1817, l’adjoint au Maire, Jean Michel André Dussol, vient dresser un procès-verbal confirmant l’usurpation de Monsieur Lafosse, puisque le chemin de Lasan, prenant naissance au lindat de Naudin, en passant derrière la maison de Lasan pour aller directement dans la commune de Villenave d’Ornon, a bien été reconnu comme propriété de la commune de Cadaujac dans le procès-verbal de classification des chemins vicinaux. Dans une lettre datée du 10 juin 1818, Monsieur Lafosse reconnaît certes qu’une « transaction par laquelle en 1646 les habitants acquirent le droit d’aller au lindat (ou ruisseau de l’Eau blanche) pour abreuver leurs bestiaux » a bien été signée, mais pour lui, la Municipalité ne s’est jamais préoccupé des travaux d’entretien nécessités par ce passage. Il écrit à ce propos qu’« il a été fait des travaux en maçonnerie il y a 30 et quelques années qui coûtèrent 300 quelques francs qui ne furent payés que par 5 ou 6 particuliers qui traversent le ruisseau pour aller dans les marais. Que il y a 15 ans qu’une pareille réparation fut encore faite, et payée par les mêmes individus, qu’enfin il y a 5 ans, il fut établi des poutres en chêne pour traverser et que les mêmes particuliers payèrent seuls la dépense, sans que la commune ait jamais contribué d’un sol aux grandes ni petites réparations ». D’ailleurs un arrêté du conseil de préfecture, le 23 août 1811, obligea la Dame Deyrem, et non la Municipalité, à payer les travaux suivants :
« Art. 2. Au lieu destiné au passage des bestiaux, la digue sera surhaussée à l’élévation suffisante pour éviter, en tous temps, le passage des eaux ; il y sera fait un pavé sur les deux côtés de la digue.
Art. 3. La pièce de bois ou poutre, servant de passage aux piétons, sera placée au niveau supérieur de la digue ».
Mais finalement, le 12 janvier 1819, un nouvel arrêté du conseil de préfecture autorise la commune de Cadaujac à lancer toute action en justice pour se faire maintenir dans la propriété du chemin de Lasan et Almanzor Lafosse est assigné à comparaître au tribunal de première instance de Bordeaux le 12 juillet 1819.
A propos du domaine, un « tableau de la contenance géométrique de la possession en nature de vigne seulement », dressé le 7 juillet 1824 (« arpentement fait en levée de plan par le Sieur Giraudeau, géomètre à la réquisition des nommés François Soulard et Aubarède beau-père et gendre, prix-faiteurs dudit domaine »), précise qu’il est alors riche d’un 1er article, comprenant l’enclos de la maison avec la pièce de Lespeyres, la pièce des Anglaises, la pièce de Capet, la pièce Rouge, la pièce du Jardin, la pièce des Cerisiers et la pièce du Pas de Crabot pour 19 journaux 5 règes 6 carreaux, et d’un 2ème article renfermant l’enclos de la Matole, pièce séparée de celle des Cerisiers « par la grande allée qui conduit au chemin du Pas de Crabot », pour 7 journaux 1 règes 11 carreaux, soit un total de 26 journaux 7 règes 1 carreau complanté en vigne.
Sur la configuration des bâtiments, voici ce que décrivent des notes relatives à un emprunt d’hypothèque de l’époque : « Comme on a pu en juger le domaine de Tartas était totalement abandonné quand il devint la propriété des parties. Aujourd’hui est toute autre chose, tous les vignobles ont été replantés et renouvelés depuis 15 ans, la maison de maître réparée, les vaisseaux vinaires faits neufs, etc. ». Désormais, le moulin qui moud uniquement du blé (d’après la réponse du Maire Caron de Raumont sur les statistiques de la Commune, envoyée à Monsieur le Préfet le 17 juillet 1827, et où il parle par erreur de deux meules seulement) « se compose de trois jeux de meules. Tout est bâti en pierres dures et sans roues extérieures ni graissage. On y a dépensé 40 quelques mille francs. Pour y aboutir on a construit un bassin de 200 toises [760 m2] pavé qui aboutit à la grande route et bordé de peupliers [d’Italie, des deux côtés]. Ce chemin a coûté 10 milles francs ». On trouve également une chambre joignant le bâtiment du moulin et une autre chambre en face servant au meunier. Enfin, à l’emplacement d’un ancien et grand hangar ou grange, qui était contigu au moulin, « le Sieur Lafosse a de même bâti pour l’agrément et la commodité du fermier et du meunier un corps de bâtiment en pierres et dans le genre rustique de 54 pieds de long qui a coûté 12000 francs » (note du bail à ferme du 10 juillet 1822 : « A la place de cet hangar, on a bâti depuis un charmant logement en pierre et mortier rustique de trois pièces de front pour le logements du fermier et du meunier, ce qui a coûté 9200 francs »). L’auteur de l’estimation ajoute : « On a oublié de dire que ce domaine n’est juste qu’à une lieue de Bordeaux, bordant la grande route de Toulouse, et qu’avec ses revenus, il est l’un des plus jolis du midi de la France, étant tout en un tenant, et composé de prairies dans les fonds, de vignes sur coteaux, d’un bois de chêne d’agrément et superbe auprès de la maison de maître qui est au milieu du domaine », traversé par un ruisseau dans son entier d’ouest en est. « Ce domaine dans le rapport seulement de l’agrément est d’une valeur très grande […] vaut de 150 à 200 milles francs », termine-t-il.
Toutes ces modifications avaient déjà été réalisées lorsque le 10 juillet 1822, devant Maître Jean Baptiste Mathieu et son confrère, notaires royaux à Bordeaux, Monsieur et Madame Lafosse, demeurant désormais 2, rue Leyteyre à Bordeaux, donnèrent le moulin à titre de ferme pour neuf années consécutives à Christophe Dussaq, rentier bordelais habitant au 65, rue des Menuts. Ce fermage comprenait également le corps de bâtiments appelé la Matolle, consistant alors en une grande chambre, deux parcs à vaches, et duquel dépendaient « un jardin et des eysines ». Enfin tous les fonds situés sur la rive gauche et au nord de la jalle du moulin (prairies, baujas, oseraies et aubarèdes), ainsi qu’une pièce de pré contenant environ 64 ares, un couralin dans la jale dudit moulin et tous les ustensiles servant à son usage demeuraient compris dans la location contre le prix global de 2800 francs par an.
Après le décès d’Almanzor Lafosse, survenu le 12 octobre 1825 « sur son bien de Cadaujac », sa veuve donne à titre de bail à ferme pour une année, du 16 décembre 1830 au 16 décembre 1831, à Monsieur Jean Jaffard aîné, demeurant 14, rue Permentade, les vignes seulement qui appartiennent au domaine, plus une chambre dans la maison d’habitation, les chais, le cuvier et les vaisseaux vinaires « pour faire la récolte prochaine », contre 16000 francs. Le 20 décembre 1830, elle signe un nouveau bail à loyer pour trois années consécutives, jusqu’au 20 décembre 1833, à Monsieur Bletery, fabriquant de noir animal, demeurant 52, grande rue Lagrange, pour le moulin à eau, la bâtisse vis-à-vis composée de trois chambres, plus une chambre à côté dudit moulin, un jardin au-dessous et un pré bordant le ruisseau le long du bois, pour 1300 francs par an. « Plus le Sieur Bletery aura la faculté de mettre ses chevaux dans l’écurie ».
Mais le 14 avril 1831, une saisie immobilière du domaine de Bardin est faite et poursuivie par Marie Julie Françoise Thocquesne, veuve de Joseph Lamy, demeurant à Versailles (17, rue du Réservoir), au préjudice de la Veuve Lafosse, en vertu d’un contrat d’obligation de la somme de 35000 francs consenti le 25 avril 1824 devant Maître Soissons et son collègue, notaires à Versailles. Les 34 articles qui décrivent la propriété donnent de plus amples renseignements sur le manoir qui consiste alors en « un corps de bâtiment, avec cour au milieu, comprenant le logements du maître, celui du prix-faiteur [le paysan du domaine, le Sieur Faure, qui s’occupe des vignes toujours tenues à titre de ferme par Jaffard aîné], chai, cuvier, grange, le tout contigu, bâti en pierre de taille et mœllons, couvert en tuiles creuses, ayant une superficie de 650 m ou environ » (article 1er). A l’article 2 est mentionné « un bâtiment servant d’écurie avec une chambre pour le domestique, bâti en pierre de taille et mœllons, couvert en tuiles creuses, ayant une superficie de 150 m ou environ », contigu à la cour qui représente une superficie approximative de 840 m et « dans laquelle est un puits de forme circulaire, bâti en pierres, garni de sa poulie, supportée par deux piliers en bois ». L’article 10 évoque enfin les aspects du moulin « à trois meules tournantes, bâti en pierre de tailles et mœllons, couvert en tuiles creuses, avec son déversoir construit en maçonnerie, avec sa pelle en bois pour retenir les eaux », d’une superficie approximative de 105 mètres carrés. Les vaisseaux vinaires, également compris dans ladite saisie, comprennent « deux pressoirs, deux cuves, dont une cerclée en fer, et deux gargouilles ».
Aux termes d’un jugement rendu en audience des criées du tribunal de première instance de Bordeaux, le 16 mai 1832, la Veuve Lamy pour deux tiers, ainsi que Michel Jules Lemazurier et son épouse, habitant également Versailles (18, rue de l’Orangerie), pour un tiers, deviennent adjudicataires du domaine de Bardin et Tartas, avec ses dépendances, pour 47200 francs. Puis le 7 février 1833, devant Maître Besnard et son collègue, notaires à Versailles, la Veuve Lamy renonce à sa part d’environ 50 ha 65 a (maison de maître, métairie, terres et moulin) qu’elle vend au couple Lemazurier contre 25000 francs.
Monsieur Lemazurier, né le 19 août 1786 à Gisors dans l’Eure, est docteur en Médecine et chevalier de l’ordre royal de la Légion d’Honneur. Il avait été épousé en 1815 Mlle Françoise Adélaïde Delannoy. Si le couple afferme de nombreuses prairies dépendant de leur domaine, il se plaint le 10 mai 1834 dans une lettre au Préfet que depuis son acquisition « ni la maison, ni le bois qui la touche ni les aubarèdes n’ont été affermés », malgré les quelques démarches qu’il a fait pour avoir des locations ou fermiers, « ce qui jusqu’à ce jour a laissé le tiers de la propriété sans produits ni valeur »… Cela dit, la propriété de 72 journaux, dont 25 environ sont en vignes et le reste en garenne, prairies, terres labourées et aubarèdes, est pourtant toujours travaillée par Monsieur Faure. Le 20 novembre 1832, il avait été « chargé à prix fait et moyennant 55 francs par journal, de faire aux vignes dudit domaine toutes les façons nécessaires, savoir : la taille, 3 façons de bêche, la plante des provins, l’épamprage, le levage et joine, l’effeuillage et la coupe des haies deux fois, pour l’année 1833 ». Et le 19 décembre de la même année, il avait été décidé qu’il devait « ensemencer en seigle ou froment la pièce de terre à la Matole », alors en culture de vignes mortes, « à moitié avec les propriétaires ; c’est-à-dire que moyennant l’avance de la semence de la part des propriétaires, et des travaux de labour et autres de la part du fermier », le produit au bout de l’année devait être « partagé par égales portions entre le Sieur Faure et les propriétaires ».
En 1848, avec son voisin Sidney Duprat, propriétaire du domaine du Pont de Langon, Monsieur Lemazurier participe pour 150 francs aux frais de la construction d’un pont au lieu-dit Lindat, sur le ruisseau de l’Eau blanche, le total de la dépense s’élevant à 813 francs 26 centimes. Depuis au moins 1843, Monsieur Duprat possède l’empellement supérieur du moulin de Bardins. En 1851, Monsieur Gazeau, nouveau propriétaire du moulin de Gamarde voisin, sur Villenave d’Ornon, se plaindra que Monsieur Duprat ne sorte pas ses vannes du 1er octobre au 1er mai de chaque année, comme il a été prévu dans le règlement de 1845 (MAGNANT, François : Villenave-d’Ornon. 5000 ans d’histoire, Comité historique de Villenave-d’Ornon, Manchecourt, Maury imprimeur, 2000, p.89). En 1859, c’est Marie Lacombe qui sera meunière pour le compte de Monsieur Duprat.
Le 17 août 1849, devant Maître Lacoste, notaire à Bordeaux, Monsieur et Madame Lemazurier se séparent de leur domaine cadaujacais en le vendant à Pierre Bellarmin Tandonnet, négociant à Bordeaux (10, place Bourgogne), pour 54000 francs. C’est à ce Monsieur Tandonnet que l’on doit le château actuellement visible à Bardins. En 1850, il procède en effet à la démolition de l’ancien manoir et fait construire un nouvel édifice formé d’un corps de logis avec balcon et de deux ailes plus avancées, celle de gauche étant flanquée d’une tour ronde avec escalier pour accéder au premier étage. En haut de cette tour, dont la porte est aujourd’hui ornée d’une petite Vierge à son fronton, figure justement l’inscription de l’année 1850. D’après Philippe Maffre (Châteaux et maisons de campagnes du canton de La Brède du XVIème siècle au XIXème siècle, T.E.R., Université de Boréaux III, décembre 1978, vol. 1 p. 19), les communs dateraient de la même époque que le château, ayant conservé le plan qui était le leur dès 1810.
Les Tandonnet ou leurs descendants, même s’ils ne sont pas originaires de Cadaujac depuis des siècles, vont fortement s’impliquer dans les affaires de la commune puisque plusieurs d’entre eux vont y devenir Maires.
Le 21 avril 1855, toujours devant Maître Lacoste, un partage a lieu entre les enfants des successions d’Arnaud Tandonnet (1772-1855) et Jeanne Caurounat, et de Pierre Bellarmin Tandonnet leur frère consanguin sans descendance. La partie principale du domaine de Bardins est attribuée à Jeanne Irma Tandonnet, avec la prairie du Pont de Langon acquise par Pierre Bellarmin Tandonnet depuis le 17 août 1849. Née à Bordeaux, elle avait épousé Edouard Marc Chancel, négociant né à Sanègre vers 1816, demeurant à Bordeaux au 25, rue Mably, puis au 50, quai de Bourgogne. Le couple est ami avec une autre famille de grands négociants, propriétaire du domaine de Baulos, les Lafitte. Monsieur Chancel décède sur son domaine toujours appelé « de Lafosse » le 26 octobre 1867. Sa veuve, héritière de ses biens, va être de nouveau éprouvée par la perte successive de ses deux filles : Elisabeth Thérèse Chancel, née le 15 novembre 1852 à Bordeaux, épouse de Jean Averons, décédée le 2 mai 1876 ; et Marie Jeanne Chancel, née le 1er novembre 1851 à Bordeaux, épouse de Maurice Tandonnet, disparue à Bordeaux le 6 juin 1877. Plus que jamais soucieuse du malheur d’autrui, elle s’est intensément occupée de la Société des Dames de Sainte-Elisabeth. Lorsqu’elle rédige son testament olographe le 8 décembre 1896, à Bordeaux où elle a élu domicile au n°2 du cours d’Alsace et Lorraine, elle n’oublie pas de faire un legs de 1000 francs au curé en faveur des pauvres de Cadaujac. Mais ce don sera finalement refusé par décret du Ministre de l’Intérieur et des Cultes le 26 février 1903…
Sur la propriété, elle fait procéder à une démolition en 1880, puis à une addition de construction au château en 1885. Enfin, en mars 1885, elle fait établir un plan sur lequel le vignoble ne représente déjà plus que 6 ha 78 a 30 ca. Son défunt mari avait auparavant fait dresser un premier plan en 1855, comprenant une illustration du nouveau château (les deux plans sont toujours conservés aujourd’hui au sein du château).
Une tour-pigeonnier carrée du XIXème siècle est ornée d’une rangée de carreaux en faïence bleus et blancs qui répondait à un souci de sécurité : ils devaient empêcher que les souris ne grimpent et ne pénètrent dans le bâtiment. Ces carreaux sont encore visibles aujourd’hui, mais sur deux côtés seulement de la tour, les autres étant tombés. Un mystère demeure sur l’origine de cet étonnant édifice : la date de sa construction nous est inconnue (peut-être lors des travaux de 1885 ?), sa localisation étant d’ailleurs difficilement repérable sur les anciens cadastres. Aucune mention dans les actes non plus. Une tradition orale voudrait qu’il ait été acheté à la propriété voisine du Pont de Langon et qu’il aurait été déplacé de l’autre côté de la nationale... La facture de son architecture paraît ancienne, mais peut-être n’est-ce qu’une ornementation à la manière d’un temps plus ancien…
La tour-pigeonnier
Il existe aussi un château d’eau, équipé de tout un système pour y amener l’eau. Les vignes du château, quant à elles, côtoient depuis 1887 un regard de l’aqueduc de Budos, en forme de petite chapelle.
Une réplique de la grotte de Lourdes dans la garenne (d’après le Livre d’or de l’abbé Barreau)
Madame Chancel était si attachée à la foi catholique qu’elle promit un jour de mauvais temps où la grêle menaçait la récolte, de faire ériger une grotte pour les prières. Bardins n’en était pas à son premier lieu sacré, puisque le 19 septembre 1691, lors de la visite de Monseigneur Louis D’Anglure de Bourlemont, archevêque de Bordeaux, il est mentionné une « chapelle domestique Baritaut » dans le compte-rendu du séjour. Dès le 28 mai 1876, l’abbé Barreau avait procédé à la bénédiction d’une statue de Notre-Dame de Lourdes dans l’église paroissiale, lors des vêpres. Elle fut ensuite placée dans la grotte artificielle construite dans le parc du château. Dans le fond à gauche, une arrivée d’eau se déversait dans une sorte de petit réceptacle, imitant la source de la grotte de Lourdes. S’y trouvaient également deux prie-dieu et deux fauteuils à bras étonnant : ils étaient fait avec des vieux ceps de vigne (il ne reste actuellement qu’un fauteuil assez abîmé). Pendant longtemps un ex voto remerciait la Sainte Vierge pour un petit garçon à qui la Grâce de la guérison aurait été accordée…
Avec l’approbation du cardinal Bonnet, l’inauguration et la bénédiction de la grotte « Notre Dame du Mont Chancel » eut lieu le 10 septembre 1882. Laissons l’abbé Barreau nous conter le déroulement de cette journée : « Ayant fait construire une grotte, en tout semblable à celle de Lourdes, approchant presque des mêmes proportions, dans la propriété de Bardins, à Cadaujac ; une statue fut placée dans l’endroit de l’apparition. Cette grotte a été construite et édifiée par un ouvrier habile et bon chrétien, Mr Carrère, de la paroisse de Bouliac […]. Il a parfaitement réussi son œuvre. Après les Vêpres, les fidèles et un très grand nombre des environs se rendirent à l’endroit de la grotte. Plus de trois cents personnes étaient accourues à cette fête. Selon l’autorisation qu’il avait reçu de Son Eminence (3 septembre courant), Monsieur Barreau, vice-archiprêtre et curé de Cadaujac, transporta, en voiture, le très Saint Sacrement à cette grotte, pour y donner la bénédiction aux fidèles. Madame Chancel avait mis sa propre voiture à la disposition de Monsieur le curé. Dans la voiture se trouvaient à côté de Monsieur le curé de Cadaujac, Monsieur l’abbé Merlet, curé de Saint-Aubin (canton de Saint-Cyr Lalande), ami de la famille ; Monsieur Subervie Léonce, clerc-minoré, habitant de Cadaujac ; tous trois en habit de chœur, récitant dévotement le Saint Office. Monsieur J. Avérous, gendre de Madame Chancel, avait tenu à grand honneur, et avec raison, de conduire lui-même, la voiture. Dès avant l’arrivée du clergé, les chanteuses et les fidèles avaient chanté les litanies de la T.S. Vierge, et l’Ave Maris Stella. A la descente de la voiture, et arrivé devant l’autel dressé dans l’intérieur de la grotte ; Monsieur l’abbé Saint Jean, diacre, renferma le T.S. Sacrement dans le tabernacle de l’autel. Monsieur Saint Jean venait d’arriver de Royan avec les trois petits-fils de Madame Chancel, à l’heure même, pour assister à cette cérémonie. La foule a chanté trois fois le Parce Domine ! Après le chant d’un cantique en l’honneur de l’Immaculée Conception, Monsieur le curé, revêtu de la chape en drap d’or, a béni solennellement la grotte et la statue de l’Immaculée Conception de la T.S. Vierge. Il a publié les Cents jours d’Indulgences concédés par son Eminence à tous ceux présents à cette cérémonie, et, il a récité, tout étant à genoux, un Pater, un Ave Maria, et un acte de charité. Les autres jours où l’on viendra réciter les mêmes prières, Monseigneur a accordé quarante jours d’indulgences. Après quoi, Monsieur le curé a prononcé devant la foule assemblée, le discours ci-après, où il demande que désormais ce lieu soit appelé : « Notre Dame du Mont Chancel ! ». L’allocution finie, le Saint Sacrement a été exposé. Monsieur le curé de Saint-Aubin, de sa belle, voix, a chanté le Subitems Praesidium ! Le Cantum ergo, le motet exécuté par nos chanteuses, au son de l’harmonium tenu par Madame Chabanneau [épouse du propriétaire du Château Bouscaut], le chant du chapelet de Lourdes, répété par la foule, après la Bénédiction réveillaient un saint enthousiasme par l’élan de toutes ces voix s’élevant vers le ciel ! Pendant le chant de l’Ave Maria, Monsieur le curé a rapporté, en voiture, le T.S. Sacrement à l’église de Cadaujac. A la suite de cette belle cérémonie qui a comblé de joie toutes les âmes ; Madame Chancel, entourée du plus grand nombre des membres de sa famille et qui récemment, après un pèlerinage à Notre Dame de Lourdes, avait ressenti un grand apaisement à ses souffrances physiques, causées par les malheurs de famille qu’elle avait éprouvée par la mort de ses deux filles ; les pieux fidèles, hommes et femmes, venaient prendre de l’eau de Lourdes qui suintait du rocher, et qui avait été apportée de la roche miraculeuse. Deux petits accidents ont été sur le point de troubler la cérémonie. Une femme et une enfant ont eu mal d’estomac, par la fatigue qu’elles ont éprouvé de se tenir debout. Si la nature a pu fléchir, la Sainte Vierge Marie a voulu aussitôt remettre sur pied ces natures délicates ; le mal n’a eu aucune suite. La matinée du dimanche a été très pluvieuse. On redoutait de ne pouvoir procéder à cette fête. Un Pater et un Ave Maria a été récité après la grand Messe, à l’église, et le temps s’est levé, la soirée a été très belle. D’autres personnes pieuses avaient récité les litanies, à cette intention. Marie nous a exaucé ! Béni soit le Saint nom de Marie !!! ».
Selon une tradition annuelle, on a célébrer quelques temps l’anniversaire de cette inauguration. Ainsi le 11 septembre 1892, après les vêpres, « la foule des Paroissiens s’est rendue à la Grotte de Notre-Dame de Lourdes pour en célébrer le dixième anniversaire ». Et l’abbé Barreau de nous décrire encore une fois la manifestation : « Les chants ont alterné entre nos chanteuses et les orphelines de Villenave d’Ornon, à Couréjean. Mr. le Curé, selon la coutume, en cette fête, a distribué les diplômes aux Enfants de Marie. Les deux cent personnes accourues de la région, après avoir prié avec ferveur se sont retirées vivement et religieusement impressionnées ». Par la suite, pendant de longues années encore, des processions s’étendront de l’église paroissiale jusqu’à cette chapelle privée lors des fêtes religieuses. Un autel était installé sur la terrasse au nord du château Bardins et l’on partait ensuite vers la grotte. On venait notamment prier pour que les moissons soient protégées et abondantes.
C’est le 9 septembre 1901 que la Veuve Chancel trouve la mort dans son château de Cadaujac. Le 11 avril 1902, devant Maître André Motelay, notaire à Bordeaux, la totalité de ses biens est partagée en tiers à ses légataires généraux et universels institués par son testament, à savoir ses trois petits-fils, enfants de Jeanne Marie Chancel : Jean Marie Joseph Marc Tandonnet, agent d’assurances à Bordeaux (7, rue de Cheverus) ; Jean Marie Arnaud Hippolyte Robert Tandonnet, enseigne de vaisseau à bord du garde-côte de l’Etat La Tempête, en rade de Bizerte en Tunisie, domicilié à Bordeaux (52, quai de Bourgogne) ; et Jean Marie Ambroise Paul Tandonnet, intéressé d’agent de change à Bordeaux (38, allées d’Orléans). C’est ce dernier qui reçoit le Domaine de Bardins, d’une contenance d’environ 26 ha 54 a 85 ca, y compris les augmentations qui y ont été faites par la Veuve Chancel, évalué 73500 francs. Le tiers du mobilier lui est également attribué. Mais dès le 9 mai 1903, devant Maîtres Peyrelongue et André Motelay son collègue, notaires à Bordeaux, ce célibataire se défait de sa succession en vendant la propriété de Cadaujac plus « les meubles, meublants et objets mobiliers » s’y trouvant, le tout pour 72500 francs, à Charles Auguste Lucien Vincent, négociant en riz et armateur, demeurant à Bordeaux (14, quai Louis XVIII, puis 43 bis, allées de Chartres). En annexe de l’acte, un état estimatif et descriptif des objets mobiliers est détaillé et nous décrit l’agencement intérieur du château : au rez-de-chaussée se trouvent une cuisine, un passage avec une fontaine à mains, une salle de bains avec baignoire en zinc, une lingerie, un petit salon, une salle à manger avec meubles en noyer et une cave à liqueur, un vestibule avec une lanterne japonaise, une salle de billard avec une cheminée Choubersky, un salon ; au premier étage, une chambre bleue, un cabinet de toilette, la chambre de M. Chancel avec meubles en acajou et un prie-Dieu en noyer, un cabinet de toilette servant de chambre, la chambre de Paul Tandonnet, une petite chambre bleue, la chambre de M. Frank et son prie-Dieu, la chambre de M. Marc et son prie-Dieu, une chambre à coucher, un corridor ; au deuxième étage, les chambres des bonnes ; une remise, avec un vis-à-vis Debonlieu ; dans l’écurie, sous un hangar, une carriole, etc.
Monsieur Vincent avait épousé Mlle Mery Brousse, fille d’Eugène Brousse, agent de change né en 1801 et décédé en 1880, et de Mery Peychaud, propriétaires du château de Lestaules à Cestas qui s’étaient mariés en août 1833. Ne voulant faire de sa nouvelle acquisition qu’un parc d’agrément, le négociant diminua la superficie de son vignoble jusqu’à 2 ou 3 ha. Sa fille unique Luce Joséphine Marie Vincent, née à Bordeaux le 13 décembre 1870 reçoit la succession. Elle épouse en 1898 Camille Marie Joseph Michel Dominique de Bernardy de Sigoyer.
Cette famille originaire de Sisteron s’était transplantée dans la région bordelaise au XIVème siècle. C’est en 1572 qu’elle acquît la terre de Sigoyer-Melpoil. Le 14 janvier 1708, elle fut maintenue dans sa noblesse, puis la branche cadette, représentée à Bordeaux, se fixa à l’île Bourbon en 1793.
Fils de Pierre Amable de Bernardy de Sigoyer (1817-1882) et de Clémence Rivière de Chazalon (1830-1867), Camille de Bernardy de Sigoyer est ainsi né à Saint-Benoît, île de la Réunion, le 18 avril 1870. Venu à Bordeaux afin de terminer ses études d’avocat, il devient agent général avec Messieurs de Bethmann et Lasserre Brisson de « La Nationale », compagnie d’assurances contre l’incendie, les accidents, les risques divers et sur la vie (13 cours du XXX juillet, à Bordeaux). Il finira même par être nommé directeur de cette ancienne compagnie royale. Sa femme décède à Bardins le 2 juillet 1926, le château passant définitivement aux mains de la famille de Bernardy de Sigoyer. Il ne tarde pas à la rejoindre dans Cadaujac occupée, le 10 mai 1944.
Leur fils Marie Joseph Camille Christian de Bernardy de Sigoyer, né le 6 janvier 1904 à Bordeaux, prend la suite de la propriété et de l’assurance. Marié en 1929 avec Edith Jeanne Marie Jacqueline Balaresque, née le 28 octobre 1909 à Saint-Caprais et décédée le 27 mars 1965 à Cadaujac, il s’éteint à son tour dans la commune où il fut Maire de 1956 à 1977, le 17 janvier 1991.
Yves Marie Théobald de Bernardy de Sigoyer, agent général d’assurances, fils aîné d’une fratrie de sept enfants, né le 9 mai 1934 à Cadaujac, a déjà augmenté les vignes de 4 ha dans les années 1980-1983. Le vignoble reconstitué de 10 ha finit par obtenir l’appellation Graves Pessac Léognan.
Après le décès d’Yves de Bernardy de Sigoyer, survenu brutalement le 8 janvier 2005 à Louchats, la génération suivante prend le relais. Stella Puel s’attache à la culture de la vigne et à l’élaboration du vin, aidée de sa sœur Edith et de son frère Christol qui s’est installé à La Réunion où il commercialise également le vin de Bardins. Des rencontres culturelles et musicales sont organisées régulièrement dans le cadre du château, avec l’association loi 1901 Levain d’émotions, créée le 9 novembre 1993.
Sur les 35 ha du domaine, plus rien n’existe et rien ne fut reconstruit au lieu de La Matole. Quant au moulin, dont la chute était encore utilisée en 1914, il reçut un temps une salle d’escrime et un système permettait d’augmenter son volume d’eau pour que les fillettes du centre de Millefleurs puissent venir s’y baigner à la belle saison.
Fiche signalétique
Sols et sous-sols : graves argilo-calcaires.
Superficie : Rouge : 9,5 ha. Blanc : 0,4 ha.
Volume vinifié en 2004 : 424 hl, 150 barriques, 3 cuves (inox 500 hl, acier revêtu 350 hl, en fibre 100 hl), un pressoir horizontal.
Capacité totale en cuverie : 950 hl.
Densité de plantation : 6500 pieds/ha.
Âge moyen du vignoble : Rouge : 27 ans. Blanc : 40 ans.
Production moyenne : Rouge : 48000 bouteilles. Blanc : 1000 bouteilles.
Encépagement : Rouge : Cabernet Franc 30 %, Merlot noir 30 %, Cabernet Sauvignon 30 %, petit Verdot et Malbec 10 %. Blanc : Sémillon 33 %, Muscadelle 33 %, Sauvignon 33 %.
Vendanges : manuelles.
Contrôle des températures : automatique.
Durée de cuvaison : rouge : 25 à 30 jours.
Elevage : Rouge : dont barriques neuves 25 %.
Durée du séjour : rouge : 20 mois. blanc : 9 mois.
Type de vente : bouteilles 100 %.
Commercialisation : directe 60 %, négoce 40 %.
Exportation : 30 %. Pays : Allemagne, Belgique, Irlande, Laos.
Marques rattachées à la propriété : Château Bardey - Pessac-Léognan (second vin), Souffle de Bardins (graves rouge)
Sources :
- Archives privées de Madame Stella PUEL
- Archives communales de Cadaujac
- Archives départementales de la Gironde, séries H 613, H 821, H 826, H 836, H 884, G 646, 6 M 1338, 3 O 260, E dépôt 1003