Cadaujac et ses châteaux Tome 1
publié dans le Journal de la Promenade ( ISSN 1959-4259) le 6 septembre 2009
par Frédéric Durand, Jean Claude et Jeanie Grenier
Deux châteaux féodaux : le château des Faugères, château des Freytets (aujourd’hui château d’Eck)
La Maison Noble du Pont de Langon
Le château de Saige ou le château de Cadaujac
De la petite histoire naît l’Histoire, les coups de cœur ont fait s’élever les plus beaux édifices. Chaque ville, chaque village vit son présent conjugué avec son passé. Cadaujac a bien des raisons de s’enorgueillir de son patrimoine et garde le cœur chaud d’un riche passé.
Deux châteaux féodaux : château des Faugères, château des Freytets (aujourd’hui château d’Eck).
La reconstruction de la cathédrale de Bordeaux est le prétexte pour rattacher plusieurs territoires à son Chapitre*, dont Cadaujac, qui est alors érigé en baronnie. Guillaume VIII, duc d’Aquitaine, en signe la donation en 1100. Grâce aux ducs de Bordeaux et à Guillaume VIII, Cadaujac reste, durant sept siècles, une baronnie dont les barons sont les doyens successifs du Chapitre de la cathédrale Saint André de Bordeaux. La baronnie de Cadaujac possède deux châteaux : le château des Faugères et le château des Freytets. Aujourd’hui, il ne reste aucun vestige visible du château des Faugères. A l’époque, il s’agit d’une grande bâtisse seigneuriale entourée de larges fossés ; elle est la résidence des doyens barons. Par arrêt du conseil privé du Roi Charles IX, le Chapitre de Saint-André est autorisé à vendre des terres à Cadaujac au profit de Jean de Guilloche (conseiller du Roi), seigneur de la Louvière. Il est installé au château des Faugères le 24 décembre 1563 par ordre du Roi de France. Cette vente est faite pour faire face aux dettes occasionnées par les guerres religieuses. Au XVème siècle, le château subit de grandes transformations. En 1790, l’assemblée constituante déclare les biens du clergé propriété nationale. Le château des Faugères est alors vendu au Sieur Douvion en 1791. De la porte principale part une allée qui traverse vignes, prés et bois et aboutit à l’église.
Ci-contre, le château des Faugères tel qu’il figure sur le cadastre de 1847. En 1869, l’édifice n’offre plus que quelques pans de mur, des portes et des fenêtres sans caractère, le chambranle d’une grande cheminée du XVème siècle et les restes d’une tour carrée. C’est une ruine entourée de profonds fossés.
Aujourd’hui il appartient à l’histoire, mais qu’en est-il du tunnel entre Faugères et le château des Freytets : histoire ou légende ?
* Assemblée que tiennent les religieux pour gérer les affaires relevant de leur compétence.
On se plaît bien à croire à son existence : le château des Freytets (nommé aujourd’hui le château d’Eck) garde bien des secrets de son lointain passé et l’évocation d’un tunnel rehausse cette part de mystère.
Le château des Freytets devrait son nom à ses terres bien exposées, favorables à la culture, Freytets signifiant fruitiers.
La bâtisse date du XIème siècle et possède à l’époque un bon système de défense. En 1302, Bertrand de Goth séjourne au château. Cet illustre personnage deviendra pape en 1305 sous le nom de Clément V.
Après la révolution, le château est acheté par un allemand et prend le nom de son nouveau propriétaire : Eck.
En 1810, le château appartient à M. Dussole, Maire de Cadaujac. Les bâtiments sont disposés en L, la façade Nord est flanquée d’une tour à chaque extrémité et percée d’un passage en son centre.
Sur le cadastre de 1847 figurent de nouvelles constructions dont l’apparition de deux nouvelles tours (à l’Est et à l’Ouest) et de murs qui délimitent une cour intérieure.
Le cadastre de 1935 révèle la démolition de bâtiments au Sud, ce qui semble confirmer une période d’années sombres.
Mal entretenu, envahi par les ronces, ses terres deviennent quasiment impénétrables.
Dans les années 40, M. Reyné restaure le château et en occupe la partie Ouest ; le côté Est est réservé au logement des domestiques chargés de l’élevage de chevaux dont M. Reyné est un grand passionné.
Lorsque M. et Mme Martin l’acquièrent en 1969, son état nécessite à nouveau de grands travaux. C’est sous la direction de M. Labau, architecte, que s’effectue cette restauration qui apporte un nouveau souffle de vie au château. Doté de quatre tours, une seule a résisté aux attaques du temps ; les trois autres sont alors reconstruites à l’identique, dans le respect du style féodal. La façade est rehaussée, des meurtrières font place à des fenêtres Renaissance, le hall d’entrée laisse découvrir une belle charpente et un escalier en fer forgé.
Fermé et délaissé durant environ une décennie, de nouveaux propriétaires en font l’acquisition pour faire naître de ses terres un nouveau cru dans la famille des « Pessac-Léognan ». Les jeunes vignes ont donné leur « première production » en 2004.
La Maison Noble du Pont de Langon site inscrit en 1980
On a connaissance que, dès le Moyen-âge, une maison seigneuriale s’élève sur les terres riveraines de l’Eau Blanche.
L’édifice actuel ne semble pas remonter au-delà du XVIIème siècle. La partie la plus ancienne paraît être celle située au Sud, les ouvertures ont cependant été remaniées au XIXème.
Un corps de logis a été rajouté au XVIIIème siècle, auquel été accolé au Nord un petit retour aujourd’hui détruit.
Le cuvier ouvre au Sud par d’étroites portes à linteau, au Nord par des fenêtres de même type munies de barreaux de fer. Une corniche et une génoise ornent ces élévations. Le bâtiment est homogène et date de 1760.
L’ensemble des constructions est en moellons recouverts de crépi. Seules apparaissent les chaînes d’angle et jambes ainsi que les chambranles des ouvertures. Les tuiles creuses coiffent les bâtisses ; seules les tours sont recouvertes d’ardoise ainsi qu’un petit pavillon au niveau de l’élargissement du corps de logis. Un vivier, situé à l’Est des bâtiments, est alimenté par l’eau Blanche.
Au XIIIème siècle, la maison seigneuriale appartient à Bertrand Demons et au chevalier Géraud Demons. Le nom des Demons reste attaché au château jusqu’à la fin du XVIIIème siècle. En effet, sur une demande de baptême adressée au Curé de Cadaujac le 20 octobre 1786, on peut lire sous la signature « Au château Demons du Pont de Langon ».
Au XIXème siècle, la famille Dupuch acquiert le château et deviendra célèbre par le fils (né en 1800) qui sera Evêque d’Alger. Mme Dupuch décède dans sa demeure cadaujacaise à l’âge de 32 ans. Enterrée sous le porche de l’Eglise de Cadaujac, son corps sera exhumé lors d’une cérémonie religieuse présidée par son fils et son cercueil transporté dans la nef de l’Eglise.
D’après la carte de Belleyme, la Grâce existait à la fin du XVIIIème siècle. Le cadastre de 1810 atteste déjà des plans actuels. Si les communs ont été agrandis, l’architecture du logis et des façades a été respectée. Les deux ailes des communs sont de longueur identique mais de largeur différente. On accède à la grande cour rectangulaire largement ouverte à l’Ouest par un magnifique portail en fer forgé.
Les ardoises couvrent le toit du logis alors que la toiture des ailes est constituée de tuiles.
Les pierres de taille d’origine ont été enduites d’un crépi de ciment peint en blanc.
Le corps du logis présente une élévation centrale d’un étage formant un pavillon. Six fenêtres en plein cintre symétriquement réparties s’ouvrent sur la cour intérieure.
Une frise de pierre, surmontée d’une corniche fortement accentuée, parcourt l’ensemble de la façade soulignant la séparation entre le rez-de-chaussée et le premier étage du pavillon.
L’entrée dans le bâtiment s’effectue par la porte centrale du pavillon ; celle-ci a été construite sur le modèle des fenêtres latérales. De part et d’autre de la porte se situent deux fenêtres couronnées d’un fronton triangulaire reposant sur une console.
Sur la façade Est s’ouvrent six baies sur la partie basse, réparties de part et d’autre du pavillon symétrique à la façade Ouest.
La Grâce a été bien entretenue par ses propriétaires successifs. Après la révolution, elle appartient à un riche américain qui achète également le château des Faugères.
En 1937, le château est loué au patronage « Etoile Saint Louis ». Jusqu’en 1946, réunions, séances de cinéma, cours d’enseignement ménager s’y succèdent. Cette même année y est organisée la première kermesse paroissiale.
En 1948, les murs de la Grâce abritent « la Coopérative d’Amélioration de l’élevage de la Gironde ». Il s’agit d’un centre d’insémination artificielle ayant pour but d’améliorer la race bovine en Gironde. Très vite l’entreprise étend ses services aux départements voisins et prend alors le nom de « Coopérative interdépartementale girondine et d’insémination artificielle ». Dans les années 60, elle possède une quarantaine de taureaux de cinq races différentes.
Depuis une douzaine d'années, elle est redevenue une résidence privée.
De 1525 à 1579, M. Boustaud crée une grande propriété au lieu dit « la Pontrie », par des achats successifs de terres.
Le nom « la Pontrie » puis « la Pontrique » trouve son origine au vu des petits ponts qui traversent les «esteys », nombreux dans les « palus ».
On peut lire sur une pierre du château actuel la date de 1768. A cette époque, il ne possède pas encore les tourelles qui lui donnent tout son charme ; elles apparaîtront sous le second empire. De belles fermes et granges ainsi que de magnifiques chais complètent généreusement le domaine. Les deux ailes des communs couvertes de tuiles et perpendiculaires au corps de logis dessinent une cour intérieure ouverte plein Sud. Seules les tours possèdent une couverture d’ardoise. Le corps du logis, massif, domine les ailes latérales plus basses, munies de garde-fous à décors sculptés qui masquent la toiture.
Au niveau du corps de logis, un bandeau sépare les deux niveaux. On remarque une similitude entre les fenêtres et linteaux du rez-de-chaussée et de l’étage. Au centre de celui-ci ouvre une porte en anse de panier et à linteau mouluré.
Dans le pré avoisinant, un puit semble plus ancien que la bâtisse.
Le 11 avril 1774, Jean de Navarre acquiert la Pontrique. Depuis cette date, le château n’a changé de propriétaire que par mariages et successions sans jamais être vendu.
Après 1905, suite à la séparation de l’Eglise et de l’Etat, des jésuites de Bordeaux sont chassés de leurs collèges. Certains d’entre eux sont accueillis à la Pontrique alors propriété de la famille de Ravignan dont un de ses membres était ambassadeur, un autre…jésuite.
Une plaque dans une tonnelle en pierre commémore ce séjour.
Le château Bouscaut est situé sur les terres les plus hautes de la commune, à 32 mètres de hauteur.
Des vestiges situés à l’entrée du domaine témoignent de l’existence d’une ancienne et vaste exploitation qui portait le nom de Haut Truchon.
Pour la première fois en 1876 figure sur un acte de vente le nom de Bouscaut. C’est une grande chartreuse aux toits à faible inclinaison et aux façades en moellons. Si la bâtisse à cette époque a belle allure, elle ne ressemble en rien à celle d’aujourd’hui. Dans les années 20, des toits pentus viennent coiffer les murs de pierres blanches et de toute leur hauteur, des chiens assis semblent veiller, en protecteurs, sur le vignoble.
L’élévation d’une tour circulaire contribue à son allure majestueuse. C’est ainsi que la grande chartreuse a donné naissance au Château Bouscaut.
Après avoir été durant 50 ans la propriété de la famille Courtade, le château Bouscaut est vendu à M. Place, d’origine belge et au Comte de Rivaud. Un autre mode de vie s’installe : des personnalités du monde du spectacle, de la finance et de la politique y séjournent. Le comte de Rivaud possède une écurie de courses près de Paris et donne le nom de château Bouscaut à l’un de ses chevaux qui remportera le grand prix du Président de la République. Une trentaine d’années plus tard, on a retrouvé trace en Irlande d’un descendant de ce cheval portant le même nom.
A la période de l’occupation allemande, le château est réquisitionné. Pour soustraire le vin à l’ennemi, les bouteilles sont transférées au domaine des Places et de Droit. Le 28 août 1944 les cloches de l’Eglise sonnent la libération de Cadaujac. Au château Bouscaut, la vie reprend plus intense que jamais comme pour rattraper le temps perdu. Les réceptions animent de nouveau le château, on y remarque la venue du préfet Delaunay, de Jacques Chaban-Delmas, de Louis Jouvet et de Gilbert Bécaud.
En ce qui concerne le vignoble, les méthodes de travail se modernisent. Le premier tracteur de marque Fergusson fait son apparition au château en 1950. Le vin est servi dans les plus grands restaurants de Bordeaux et d’Arcachon.
Le 6 septembre 1961, alors que Gilbert Bécaud y séjourne, un incendie endommage le château : seule la grande tour subit des dégâts. Un an plus tard, il est de nouveau la proie des flammes mais cette fois la chance n’est pas au rendez-vous. Faute de réserve d’eau, les pompiers sont impuissants. Il faudra attendre les renforts pour que le feu soit maîtrisé. Meubles, tableaux, tapisseries, archives sont réduits en cendres.
Le château est entièrement rénové en 1966. Un groupe d’investisseurs américains s’en porte acquéreurs en 1968. Pendant 11 ans se succèderont des personnalités telles que le maire de New York, l’ambassadeur des Etats-Unis venu à Bordeaux pour l’inauguration de l’usine Ford, Charlton Eston…
En 1979 on peut lire sur les étiquettes de ce grand vin des Graves, le nom de son nouveau propriétaire : Lucien Lurton. En 1987, il répond à l’appellation « Pessac-Léognan ». En 1992, la propriété revient à sa fille Sophie Lurton.
Actuellement les vignes s’étendent sur 54 hectares dont 45 d’un seul tenant.
Château de Saige ou le château de Cadaujac
classé monum en 1983
C'est à la fin du XVIIIème siècle que François-Armand de Saige, Baron de Beautiran, Seigneur de l’Isle Saint Georges et de Saint Médard, fait construire ce château sur un site graveleux dominant les palus de la Garonne. Aucun élément ne peut confirmer l’hypothèse émise selon laquelle Victor Louis serait l’auteur des plans, si ce n'est qu'il est l’architecte qui a bâti l’hôtel particulier de Saige, cours du Chapeau Rouge à Bordeaux, résidence de François-Armand de Saige alors avocat général au parlement de Bordeaux puis maire de Bordeaux en 1791. Victime de la Révolution, il est guillotiné le 23 octobre 1793.
Les relevés successifs des cadastres montrent combien le château de Cadaujac s’est dégradé au fil du temps. Il semble marqué par le sort dès sa construction. En effet, l’ambition du projet initial, la superficie des bâtiments construits qu’atteste le cadastre de 1810 contrastent avec la sobriété des travaux effectués et le manque de finition dans les décors architecturaux, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la bâtisse. La période de la révolution est sûrement une des raisons de cette impression d’ « inachevé ».
Mme Veuve de Saige, remariée à M. Coudol Belille, vend le château au Marquis de Piis qui le remanie entre 1850 et 1868. Les transformations apportées ont « un peu endommagé le premier plan (…). Néanmoins, ce château est encore un bel édifice rectangulaire, élevé de plusieurs étages et dont la façade est ornée d’un péristyle grec (…). A l’Est s’avance une rotonde surmontée d’une terrasse qui est une petite promenade délicieuse (…), l’intérieur n’a rien d’extraordinaire, mais les alentours sont charmants ». (Guillon 1868, « les châteaux de Gironde »).
Concernant le péristyle, il a vraisemblablement été rapporté sous l’Empire. Il se situe à l’époque sur deux niveaux. Les piliers du rez-de-chaussée sont de section cylindrique (ordre Toscan) alors que les piliers de l’étage sont de section carrée (ordre Attique). De nos jours, l’étage du péristyle a disparu ainsi que la retonde. A l’Est, les murs sont percés de fenêtres désaxées par rapport aux lucarnes des toits, du fait de constructions attenantes à cette façade (voir cadastre). Cependant, une aquarelle de Gustave Labat révèle qu’en 1850 un passage existait entre le corps principal et un reste de bâtisse de forme rectangulaire coté Est. Plus tard, elle sera démolie pour faire place à une retonde.
On compte sept travées sur trois niveaux sur la façade Sud. Les fenêtres du rez-de-chaussée présentent un appui très bas. Aucune frise, aucun fronton ne décore ces ouvertures. La porte d’entrée est décentrée vers l’Ouest, elle est couronnée d’un fronton cintré soutenu par des pilastres. De part et d’autre de la base du fronton, un bandeau de pierre sépare le rez-de-chaussée du premier étage sur toute la longueur de la façade.
Contrairement aux fenêtres du rez-de-chaussée, celles du premier étage sont mises en valeur par des ornements de pierre. Les appuis et les chambranles sont saillants. Les clés des linteaux portent alternativement des glyphes (traits gravés en creux) et des volutes. Sous chaque ouverture, s’inscrit un panneau de pierre en relief. Les lucarnes de toit s’organisent de façon symétrique par rapport à la lucarne centrale qui possède un fronton cintré contrairement aux autres qui sont coiffées d’un fronton triangulaire.
A l’intérieur, la vaste entrée accueille un modeste escalier tournant à trois volées droites, muni d’une rampe en fer forgé à motif très simple.
Un manque de cohérence dans la réalisation des travaux amène à penser que les travaux ont dû être interrompus. Peut-être est-ce à cause de la Révolution ? …
En 1927, M. Gustave Chapon, directeur du journal « la Petite Gironde », achète le château. Pendant de nombreuses années, ce dernier sera désigné "Château Chapon", du nom de son nouveau propriétaire.
Durant la seconde Guerre Mondiale, le château est réquisitionné par les Allemands puis par l’Armée française, puis un groupe de FTPF(Francs Tireurs et Partisans Français) s’y installe en octobre 1944. Sous les ordres d’un certain Bob, une soixantaine de personnes, non cadaujacaises, soupçonnées de collaborationnisme, y sont maintenues prisonnières, certaines torturées; six sont fusillées et enterrées dans le parc du château après un procès arbitraire, une septième victime est retrouvée noyée au port de Grima.
La naissance de ce château s’est faite dans la douleur de la Révolution, la dernière guerre a égratigné son histoire, amputé au fil du temps, il ne reste qu’un corps de logis meurtri qui attend de panser ses blessures pour s’ouvrir à l’avenir.