La vigne : robuste et fragile à la fois et le phylloxéra par J Grenier

 

 

par Jeannie GRENIER

Lorsque le regard se pose sur un cep de vigne, on le perçoit rustique et solide, si profondément ancré dans sa terre nourricière qu’on l’imagine invulnérable.
Mais le monde vivant s’impose sous toutes ses formes et parfois, l’infiniment petit a raison de ce qui semble être le plus fort.


C’est ainsi qu’en 1851 une insignifiante moisissure blanche à l’aspect duveteux parasite le vignoble girondin.
On se veut rassurant et une commission chargée d’étudier le problème conclut en ces termes : "le mal n’est que passager et 1852 ne le reverra pas se renouveler".
Cependant, le préfet soupçonne la gravité de ce mal inconnu, en informe les autorités de l’état, mais demande de "garder le secret sur cette affaire".


En 1852, la maladie est de nouveau présente, encore plus agressive, résistant à tous les traitements elle n’épargne aucun cépage.
Devant l’impuissance à vaincre ce fléau, le désespoir s’installe dans le monde viticole. La production chute et l’inquiétude gagne Bordeaux, grande ville du négoce.


Durant l’année 1853, le préfet est interpellé sur la gravité de la situation par un envoi massif de courriers émanant tant de maires que de vignerons. Un échange de correspondance s’établit entre les deux parties. Archivé au niveau départemental, il est un témoignage précieux de l’état du vignoble à cette époque et du désarroi des viticulteurs.


Concernant l’année 1854, les archives sont muettes, aucune trace de correspondance. L’homme de la terre est seul, habité par son impuissance, mais céder à la résignation n’est pas dans sa nature. Plusieurs remèdes sont testés : l’incision du pied de vigne telle une saignée, l’essai de plusieurs modes de taille, l’effeuillage, le badigeonnage avec de l’eau additionnée de divers ingrédients tels le vinaigre, la chaux, la suie, le savon, les cendres, voire même la bouse de vache…
Hélas, les résultats obtenus n’apportent que de minces améliorations.


Mais, le malheur des uns aiguise l’ingéniosité des autres. En1857, le préfet reçoit pas moins de soixante trois propositions de procédés de traitement. Nombreux sont farfelus, d’autres inapplicables, mais les auteurs de certains envois sont pour le moins très clairs : passée l’interrogation sur l’efficacité de leurs trouvailles, on découvre la certitude de leur démarche : "je vous propose mon remède sous condition de récompense en cas de réussite" !!...


Cette même année une invention va révolutionner les techniques de traitement et, du produit employé va naître l’espoir de la guérison du vignoble. Cette invention est le soufflet, le produit miracle le soufre.
Mais il faut traiter vite, partout et dans de bonnes conditions.
Inventeur de ce procédé, le Comte de La Vergne se veut aussi pédagogue. Pour ce faire il utilise tous les moyens de communication de l’époque : réunions d’information, presse locale, presse nationale. Brillant dans son invention, efficace dans son action, le Comte de La Vergne est le sauveur du vignoble bordelais : les propriétaires girondins soufrent !! En deux ans la production redevient normale.
Le soufrage ayant été reconnu comme bienfait de l’agriculture, le jury de l’exposition universelle de 1867 propose que la légion d’honneur soit décernée au comte de La Vergne, lui qui neutralisa la petite moisissure blanche remarquée pour la première fois en France en 1848 dans les serres du baron James de Rothschild à Suresnes près de Paris.
Près de dix ans après son apparition, l’oïdium est enfin maîtrisé.


Mais la nature a l’humeur chagrine et ne laisse à l’homme que peu de répit.


Quelques années plus tard, le phylloxéra venu de la côte Est des Etats-Unis se propage en France. Repéré pour la première fois dans le Gard en 1863 par Emile Planchon, on le découvre dans le vignoble bordelais en 1866. Il se propage vite et se révèle être très dévastateur, d’où son surnom de "vastatris".
Sur la rive droite de la Garonne, les vignobles de Quinsac et de Beaurech en sont les premières victimes. Sur la rive gauche, L’ISLE-SAINT-GEORGES est la première touchée.
Une énigme se pose concernant cet insecte. Ses caractéristiques sont qu’il n’aime ni le froid qui tue les œufs d’hiver, ni l’humidité qui empêche les œufs d’éclore, et pourtant il vient élire domicile en pleines palus (?).
Un mode de vie qui relève parfois du mystère, un rythme biologique complexe, le phylloxéra est difficile à cerner, donc difficile à combattre.
La maladie se propage dans l’ignorance de ses causes. Certes l’insecte se déplace, mais il est également véhiculé par l’homme qui, de parcelle en parcelle transporte ses outils contaminés.
Le stockage des fumures dans une zone phylloxérique puis transportées sur une terre saine et le mal est fait…
Pourtant, sans relâche, on cherche le remède et, dans l’attente du traitement salvateur, des mesures sont prises au niveau gouvernemental. 


En septembre 1878 est constituée la Commission Supérieure du Phylloxéra qui prend la décision de classer les territoires viticoles en quatre catégories : les territoires peu touchés, moyennement touchés, très touchés par la maladie, et les territoires indemnes.


A chaque catégorie est appliqué un régime administratif spécifique. Pour les catégories "parcelles contaminées", tout import de plants, boutures, ceps, raisins est autorisé, mais tout export est formellement interdit sauf dans les zones viticoles relevant du même régime administratif.
Concernant les terroirs indemnes tout export est autorisé, tout import est interdit.


De plus, en 1870, l’état annonce l’octroi d’une prime de 20 000 francs, portée à 300 000 francs en 1874 à l’inventeur d’un remède efficace. Elle ne sera jamais attribuée.


Outre ces mesures, le soutien de l’état tant sur le plan financier que sur le plan moral est bien mince.
En contre partie, beaucoup d’énergie se déploie au niveau local. En 1874 la Société d’Agriculture de la Gironde constitue la Commission Générale du Phylloxéra qui publie de précieuses informations et crée une pépinière de vignes américaines, car il ne fait alors aucun doute, la sauvegarde du vignoble bordelais passera par le greffage des plants américains.


Mais des solutions propres aux terroirs ne sont pas pour autant négligées.
En 1882, à l’Isle-Saint-Georges, c’est vers la Garonne que se fondent tous les espoirs. Un bain de pieds pour recouvrer la santé ! Tel est le remède préconisé pour ces vignes riveraines du fleuve. L’immersion des ceps durant la saison hivernale, permet de "noyer l’œuf d’hiver". Le procédé est efficace mais sa mise en place se révèle complexe et coûteuse. Le terrain est divisé en une dizaine de zones inondables délimitées par des digues.
Grâce à l’ingéniosité des vignerons locaux, le parasite est neutralisé dans les palus en pays d’Arruan. Mais on retiendra du phylloxéra que maladie et remède (pour l’ensemble du vignoble français) nous sont venus tous deux d’outre Atlantique.


S’agissant des agressions subies par la vigne, on ne peut passer sous silence le mildiou, petit champignon parasite qui se développe sur les organes verts de la plante. La Gironde n’en est pas épargnée, on l’y découvre en 1878. Lui aussi, arrive des Etats Unis par l’importation massive de plants américains porte-greffe pour vaincre le phylloxéra.
En 1881 la maladie est particulièrement agressive, mais dès le départ le problème est traité par des scientifiques, dont Alexis Millardet professeur de botanique à la faculté des sciences de Bordeaux, ce qui n’avait pas été le cas pour l’oïdium. Il constate assez rapidement qu’un climat chaud et humide est propice à la propagation du parasite.

Ses études sur la maladie et sa contamination l’amènent à penser qu’un traitement préventif pourrait être efficace.


C’est alors que le hasard vient au secours de la science. En visite dans le Médoc, au château Ducru-Beaucaillou, le Professeur Millardet s’étonne de voir un dépôt de vert de gris sur les vignes pleines de vitalité, riveraines de la route. D’un entretien avec le régisseur responsable du vignoble, il apprend que ce sulfatage est destiné à dissuader les vols de raisins proches de maturité.


La petite anecdote éveille chez le scientifique une curiosité toute particulière, au point d’envisager un traitement préventif contre le mildiou….au sulfate de cuivre additionné de chaux. La bouillie bordelaise va bientôt voir le jour…..


Le plus difficile est de convaincre les vignerons de l’utilité de traiter de façon préventive. Nombreux sont réticents par peur de la nocivité du produit. Ulysse Gayon, fondateur de la faculté d’œnologie de Bordeaux, apporte la preuve de l’absence de résidus dans le vin issu de vignes traitées et fait l’apologie de la découverte d’Alexis Millardet. Connue de tous, "la bouillie" est devenue de nos jours en quelque sorte l’aspirine des plantes…

Documents consultés :
Histoire d’une commune Isle-St-Georges en Arruan de M. Olivier Coussillan
Vignobles et vignerons du bordelais de Philippe Roudier, Université Bordeaux 3

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