Saint-Selve, "du visible à l'introuvable"

 

*" Cultures et traditions locales : du visible à l'introuvable" :

par Anne Marie et Jean Claude Caron ; 1996 ;

 

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SAINT SELVE s'étend sur 1774 hectares de superficie et à une altitude de 45m, sa population est de 1632 habitants (en 1999). En se promenant dans le village aujourd’hui on ne trouve pas beaucoup de traces d’un passé bien lointain. S’il est vrai que les villages portant un nom de saint ont souvent une fondation moyenâgeuse on peut penser que les hommes ont occupé son sol, soit de façon permanente soit dans des camps provisoires (il ne faut pas oublier que la région était certainement couverte de bois giboyeux propices à la chasse et de marais insalubres), depuis une haute antiquité car on a découvert des poteries datant des tout premiers siècles de notre ère ainsi qu’un “ trésor ” monétaire de cette époque, de plus la Voie Romaine connue sous le nom de Chemin Gallian et allant de Bordeaux à Toulouse la traversait à hauteur de Sarransot. Nous n’avons pu découvrir aucun vestige de cette voie.

C’est en 1774 qu’un vigneron découvrit dans un champ qu’il bêchait une jarre pleine de pièces de monnaie qu’il remit aussitôt au propriétaire du champ, celui- ci les fit estimer, elles furent datées du IVe siècle de notre ère par la suite il voulut garder pour lui la totalité du produit de leur vente, le vigneron découvreur en réclama sa part et il y eut un procès, on ignore comment il se termina mais personne aujourd’hui n’a pu nous dire où on pouvait voir ces pièces.

La paroisse de Saint Selve est née à la fin du XIIe siècle, tout au moins on commence à la voir mentionner dans de très rares documents sous le nom de Sanctus Severus de la Fougère qui est traduit par Saint Sévère de la Forêt, il faut toutefois signaler que certains érudits pensent qu’il fallait lire “ de Taugère ” et non " fougère". Saint Sévère devint rapidement Saint Sève puis dès le début du XIXe siècle : Saint Selve, il ne faut pas oublier que nous sommes dans une région très boisée et que l’assimilation entre la sylve c’est-à-dire la forêt et Sève était facile. Si la paroisse existait, elle devait être très peu peuplée puisque au XIVe siècle encore elle n’est même pas mentionnée dans la liste de l’archiprêtrée du Cernès à laquelle elle appartenait pourtant. Les premiers documents la concernant officiellement remontent au XVIe siècle, le premier registre d’état-civil date de 1589. La Voie romaine qui passait à Saint Selve était empruntée par les pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle, très tôt des moines de l’ordre de Saint Antoine établirent un hospice qui est attesté à partir de 1311. Cet hospice était dénommé Hospice de Saint Antoine de la Palomeyre, les moines élevaient des porcs, cultivaient la vigne, l’hospice échut ensuite aux Feuillants qui continuèrent leur œuvre jusqu’à la Révolution mais le souvenir de Saint Antoine perdure à Saint Selve, sa statue figure sur le fronton de l’église actuelle. Les livres anciens conservent le souvenir de plusieurs petites chapelles ou sanctuaires aujourd’hui disparus, par exemple celle de Saint Antoine de Bauves située approximativement au lieu-dit “ La Chapelle ” où s’élève aujourd’hui la maison de repos de Montalier. Cette chapelle Saint Antoine était très importante et objet d’une dévotion spéciale le 17 janvier, fête de ce Saint à l’occasion de laquelle se tenait une grande foire qui n’a était supprimée que pendant la dernière guerre. La chapelle Sainte Quitterie mentionnée à La Brède, dont l’abbé Baurein dans ses “ Variétés Bordelaises ” attribuait la fondation à Clément V et qui existait encore au XVIIIe siècle entourée de son petit cimetière, et entièrement disparue aujourd’hui, s'élevait peut-être à Saint Selve, lieu-dit le Vatican au dire de certains auteurs.

Il y avait également un autre édifice religieux, il en est question en 1784, une petite chapelle dédiée à Saint Clair mais elle n’a pas laissé de traces dans le souvenir, peut-être s’agit-il de l’oratoire construit sur la source à coté de l’église et abritant encore une statue de la Vierge, Notre Dame de la Houn ? Saint-Clair avait la réputation de guérir les yeux malades et c’est bien cette réputation que possède la source de Notre Dame de la Houn (Houn signifie fontaine, source), ces dernières années encore un vieux monsieur du village venait régulièrement y soigner sa conjonctivite, de toute façon cette eau est très pure. En arrivant dans le bourg de Saint Selve sur la place Saint Antoine nous remarquons une fontaine de pierre, décorée de grappes de raisins et de feuilles de vignes car nous sommes au cœur des Graves, qui est alimentée par la source, le trop plein des eaux est évacué vers le Gat-Mort qui coule non loin de là. Cette fontaine est toute récente, inaugurée en 1985 et construite par les élèves de l’A.F.P.A. mais si on se dirige vers la gauche de la place on trouve un grand bassin carré, le Lavoir rempli d’eau vive et claire, au fond coule le Gat-Mort et sur notre droite un oratoire fermé par une petite porte de fer forgée, l’intérieur est trop sombre et il est difficile de distinguer quoi que se soit hélas ! La porte est fermée à clef, par sécurité sans doute car c’est là qu’est la source et un bruit de pompe indique qu’on y a installé l’appareil qui permet d’alimenter la fontaine de la place mais un petit éclairage intérieur permettrait à tout un chacun de découvrir une belle et ancienne statue de pierre de la Vierge, Notre Dame de la Houn, un peu mousseuse et rongée par l’humidité. Le culte rendu à Notre Dame de la Houn semble ne plus exister depuis quelques décennies, autrefois nombreux étaient les pèlerins... Une légende veut que lors d’invasions comme celle de la dernière guerre, la fontaine ayant servi d’abreuvoir aux chevaux de l’occupant s’arrêta de couler, il fallut une procession pour que les choses rentrent dans l’ordre et que l’eau coule de nouveau...

L’église Saint Sévère s’élève sur la place Saint Antoine, c’est un édifice récent puisqu’il date de la première moitié du XVIIIe siècle, la date de 1736 figure sur le clocher mais une partie au moins du chœur aurait un siècle ou deux d’existence de plus. Cette église en remplace une plus ancienne et plus petite qui était située au même endroit entourée de son cimetière, lequel fut transféré en dehors du village vers 1870. Il est vraisemblable que la vieille église n’a pas été entièrement rasée et que la nouvelle a été construite sur ses fondations, en tous cas en 1898 la voûte menaçait ruine et dut subir une sérieuse restauration. La tradition veut qu’au début du siècle le Père Charles de Foucault y soit venu souvent prier, lors de séjours chez des parents habitant la région.

Deux statues de saints ornent la façade, Saint Antoine reconnaissable à son pourceau, un des protecteurs de Saint Selve depuis la création de l’hospice de la Palomeyre, le second est Saint Laurent dont une relique était conservée à la Palomeyre, le reliquaire était un bras en métal. L’église a l’air saine et en bon état, il n’y a pas de fissures apparentes, les murs ont été blanchis vers 1960 lors de la rénovation-modernisation. Les vitraux du XIXe siècle sont signés Dagrand, nous remarquons un autel de marbre, don de Mme d’Eichthal propriétaire du château Razens au début de notre siècle.

Quand on pénètre dans l’église l'œil est tout de suite attiré par un très grand tableau accroché sur le mur d’en face. ( remarque SIGM , ce tableau a été déplacé vers la chapelle Saint Genès à Bordeaux en 2006) . Il s’agit d’une copie de la Cène de Léonard de Vinci qui a été réalisé en juillet 1993 lors du festival organisé par la commune de Saint Selve. Ce tableau est bien mis en valeur, c’est une huile sur bois formée de quatre panneaux, œuvre peinte par les participants d’un stage de peinture de « l’Atelier Art et Image », la personnalité des divers peintres s’exprime par des styles différents ce qui provoque un effet curieux mais très intéressant. Mme Tina DEGAS était le professeur de ce stage, nous avons relevé quelques noms de peintres : D. Galland, M. Quintard, D. Jailly etc, parmi ces noms nous avons eu le plaisir de reconnaître celui d’une de nos concitoyennes, Mme Claude Fichet, artiste Lilaise.

La place Saint Antoine a été aménagé dans les années 1980, création de la fontaine, parking, installation de la mairie dans l’ancien presbytère. Voici une anecdote concernant ce dernier : En 1743 le prêtre de la paroisse en fit don à ses sucesseurs, à charge pour eux de fournir vingt litres d’huile d’olive pour entretenir la lampe du sanctuaire. L’atelier municipal est situé dans un cloître, aujourd’hui démoli, qui avait été construit au siècle dernier autour de la place. L’ensemble de la place est agréable et harmonieux.Saint-Selve a conservé peu de traces de son passé, même les vestiges de la voie romaine signalés au carrefour de Sarransot ne sont pas visibles et à ce propos connaissez-vous une légende ayant trait à ce « Camin Galian » ? On raconte que dans les temps anciens la fille du Prince de Langon refusa tout net, la veille de ses noces, que son fiancé le duc de Bordeaux vienne la chercher en passant par la route ordinaire. Le pauvre jeune homme, désespérant de pouvoir construire une autre route en une nuit en vint à invoquer le diable, qui ne se faisant pas plus prier fit surgir du néant lou Camin Galian, ce fameux Chemin Gallien considéré longtemps comme une voie maudite au bord de laquelle il ne fallait pas construire de maisons. Est-ce pour cela qu’aujourd’hui on ne retrouve presque jamais ses vestiges dans les villages qu’elle traversait ?Saint Selve possède un blason, mais il est de conception tout à fait récente. Vigne et forêt ont toujours étaient les richesses du village, on les retrouve donc dans le blason actuel, le cœur au centre rappelle que nous sommes ici au cœur de la région des Graves.La commune de Saint Selve est née en 1790, ses limites ne sont pas celles de la paroisse mais bien plutôt des limites seigneuriales.

Le château de Saint Selve est le château du Puch appelé aujourd’hui Château Razens. En 1655 Marie de Guérin dame de Saint Selve, épouse Pierre de Gasq seigneur de Razens (la terre de Razens est située à Aillas), leur fille Marie de Gasq de Razens hérita de Saint Selve. Cette Marie de Gascq épousa Alphonse de Saint-Marc qui devint seigneur de Razens et de Saint Selve, ils firent construire au début du XVIIIe siècle le Château de Saint-Selve qui fut désigné comme Château du Puch et enfinChâteau de Razens, par confusion avec le nom des propriétaires. C’était une belle demeure d’un étage dont le corps de logis central était flanqué de deux tours carrés, qui fut rachetée en 1874 par le baron Emile d’Eichthal qui le répara, acheta de nouvelles terres et fit prospérer le vignoble. Pendant la Grande Guerre ce château servit d’hôpital puis des hommes célèbres y séjournèrent tel que le roi d’Espagne Alphonse XIII, en 1921 il fut racheté par Mme Wallerstein mais il fut laissé peu à peu à l’abandon et il est en partie ruiné aujourd’hui, seules se dressent les deux tours...

Le Château de GRENADE s’élève sur une terre qui appartenait autrefois aux seigneurs de Saint-Selve et qui fut affranchie des droits seigneuriaux au XVIIIe siècle, lors du mariage du possesseur de Grenade, Antoine de Roussanes, avec une demoiselle de Guérin. Au XIXe siècle Grenade est achetée parM. de Carayon Latour qui fit construire le château que l’on peut voir en suivant la route départementale 115. C’est une très belle propriété qui abrite aujourd’hui un centre équestre réputé.

Un autre château est signalé à Saint Selve, c’est le domaine de Montalier qui se trouve de l’autre côté de la commune près du Gat-Mort, c’est à cet endroit que s’élevait l’hospice de la Palomeyre et Montalier est actuellement une Maison de repos. Comme pour le nom deRazens, Montalier n’est pas un nom originaire de Saint Selve c’est à Preignac qu’un centre de soins pour convalescents fut fondé en 1947, en 1954 ce centre fut déplacé à Saint-Selve dans la propriété qui avait appartenu aux Antonins puis aux Feuillants. La Maison reçoit des adolescents en postcure mentale, il y a de 80 à 90 pensionnaires.Tout près de Montalier, au bord du Gat-Mort, s’élevait le Moulin de Fortage, on nous a dit qu’une roue de ce très vieux moulin à eau était encore visible, nous ne l’avons pas vue mais il faut dire que les berges du Gat-Mort, par un mois de janvier pluvieux, ne sont pas très praticables. Le souvenir de ce moulin perdure dans la toponymie puisque nous remarquons les « rue du Moulin » et « rue de Fortage ». Nous n’avons pas pu apprendre grand-chose sur l’histoire de ce moulin, tout au plus qu’il a été vendu aux seigneurs de Saint-Selve à la fin du XVIe siècle à la suite de la ruine de son propriétaire Pierre de Fortage.

Le Gat-Mort traverse la commune à hauteur des lieux-dits La Chapelle et Le Vatican dont les noms rappellent à l’évidence la chapelle Saint Antoine de Bauves et l’établissement religieux des Antonins au Moyen-Age. Une station d’épuration est construite de l’autre côté de l’autoroute A60, le ruisseau se rend coupable de quelques débordements mais le vallon du Gat-Mort est un milieu écologique intéressant qu’il faut protéger, ses eaux ne sont pas très polluées. Nous avons relevé l’anecdote suivante : Un arrêt du Parlement, en 1764, ordonna le curage du lit du ruisseau car il « était tellement envasé que les eaux se répandaient sans cesse à l’entour» et ce curage eut enfin lieu en.... 1897 !

Toujours à propos du Gat-Mort il convient de rappeler un projet qui ne fut jamais réalisé, présenté par un fermier général de la région qui prévoyait de transformer le ruisseau en canal allant de Belin à Castres, ce qui aurait eu un retentissement sur la vie économique du pays vu l’importance des voies de communication par eau à cette époque.Saint-Selve a une population de 1632 habitants, une forte augmentation en vingt ans. Le bourg n’a pas toujours était le plus peuplé, jusqu’à il y a trois ou quatre ans c’était le hameau de Jeansotte qui avait le plus grand nombre d’habitants, il y a un autre hameau, au nord de la commune, c’est Civrac. Saint-Selve faisait partie autrefois de la baronnie de Beautiran mais il semble que ce village a toujours vécu en paix, en dehors des grands tourbillons de l’histoire.*

Aujourd’hui, si la tranquillité est toujours de mise il n’en reste pas moins vrai que c’est un village vivant qui a su favoriser la vie associative, bibliothèque, ASCCG ou « Association Sportive et Culturelle du Cœur des Graves » proposant des activités diverses telles que danse, judo, tir à l’arc etc., et l’ACSIG ou « Association Culturelle et Sportive Intercommunale des Graves » qui s’occupe surtout des loisirs de vacances et gère un centre aéré regroupant huit communes.

Il y a une dizaine d’années la commune s’est dotée d’une grande et belle salle des fêtes dont la scène est équipée de barres et miroirs destinés à l’école de danse, d’autres salles adjacentes complètent cet ensemble. Une de ces salles a été inaugurée en 1988, elle est baptisée la « Salle Roland Dumas » et elle est aménagée en petit musée où sont exposés des objets venus des quatre coins du monde et que Roland Dumas (qui possède une maison à Saint Selve et fut ministre des affaires extérieures) a donné à la commune, estimant que ces objets reçus en cadeau « étaient un bien national ». Cette salle est ouverte au public et mériterait de recevoir un plus grand nombre de visiteurs, on peut y découvrir de très jolis objets, des porcelaines d’URSS cadeaux de M. Gorbatchev, des sculptures de la Côte d’Ivoire offertes par M. Houphouet Boigny, une théière du roi HASSAN II, des objets provenant de Chine, d’Israël, de Thaïlande, de la Tunisie, un cadeau du prince Norodom Sihanouk représentant un oiseau sur une branche d’un travail très délicat. Il est impossible, et il serait bien sur fastidieux, d’énumérer tous ces objets mais ils valent vraiment le coup d'œil et de plus l’entrée est gratuite...

La fête du village est célébrée le 14 juillet, il y avait aussi depuis 1984 et jusqu’à ces dernières années, en juillet, « la Fête des Vins de Graves » qui se voulait héritière des deux grandes fêtes anciennes, la Foire Saint Antoine du 17 janvier et la foire de Saint Laurent du 10 août, qui furent abandonnées définitivement après la dernière guerre. Saint Selve a une ressource économique particulière et très importante puisque son montant est égal à 80% de la taxe professionnelle et à la moitié des impôts locaux, il s’agit tout bonnement du péage de l’autoroute.L’ambition des habitants pour l’avenir est semblable à celle des autres villages à mesure que l’on s’éloigne des axes routiers et que l’on rejoint les régions plus boisées : simplement rester un village rural, paisible mais assez vivant tout de même pour éviter de devenir un village-dortoir.

Pour ces articles nous avons été guidés par les ouvrages suivants :

« Flash Infos » municipal N° spécial,

- « Bordeaux Antique » de Robert Etienne

« Revue Archéologique de Bordeaux » Tome LXXX, 1989, M. Lacoste-Lagrange

« La Gironde » Joanne, 1881

- « Les Variétes Bordelaises » de l’Abbé Baurein A.M. et J.C. CARON

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