texte Emilie CHENNEVEAU (2005) relecture Michèle GABORIT
EGLISE SAINT-MARTIN DE VILLENAVE D’ORNON
SITUATION
La commune de Villenave d’Ornon implantée au sud de l’agglomération bordelaise couvre une superficie de 2075 hectares, sur la rive gauche de la Garonne.
Elle est bordée au nord par la commune de Bègles, à l’est par la Garonne, au sud par les communes de Cadaujac et de Léognan et à l’ouest par les communes de Gradignan et de Talence.
HISTORIQUE
L’origine du nom de la commune vient de l’anthroponyme, le nom d’une personne, Ornon et du latin villanova « ville neuve ». Il n’y a aucune attestation de présence avant 980 qui voit l’édification d’une chapelle en bois « Notre-Dame des Bois », par une mission évangélique.
La paroisse de Villenave fit partie, avec celles de Mérignac, Pessac, Gradignan, Talence, Léognan, une partie de Bègles, Martillac et Saint Jean d’Illac, du comté d’Ornon. Villenave dépendait de l’archiprêtré de Cernes dont le chef-lieu se trouvait à Gradignan. Celui-ci faisait partie des quatre qui constituaient l’évêché de Bordeaux.
La dédicace à saint Martin apparaît pour la première fois dans les comptes de l’archevêché en 1367. De nombreuses églises lui sont dédiées pour célébrer la popularité de ce soldat hongrois de la garde impériale romaine, né à Sabaria (en Pannonie) vers 315, qui partagea son manteau avec un pauvre et se convertit pour devenir moine puis évêque de Tours. Il décéda en Touraine en 397.
L’église servait de relais sur le chemin de Saint-Jacques ; une excavation taillée dans l’abside est d’ailleurs en forme de coquille et lors des fouilles archéologiques en 1967, un sarcophage fut découvert dans le sol du chœur comprenant un squelette possédant une poterie et une coquille posée sur l’épaule. Une borne de chemin est aujourd’hui remontée devant l ‘église.
Depuis le 12 octobre 1920 l’abside est classée aux Monuments Historiques, le reste est inscrit à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques depuis le 21 décembre 1925. Neufs objets y sont également inscrits : statues, toiles, bas-reliefs et cloche entre 1908 et 1975.
Une toile a été volée en 1991 : une Adoration des bergers, toile du XVIIème siècle, inscrite à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques en 1909.
ANALYSE ARCHITECTURALE
§ EGLISE ROMANE DES XIème ET XIIème SIECLES
[Pl.121.122] On peut penser, d’après une étude réalisée par M. Gaborit sur les édifices romans en petits moellons, qu’il y avait dès le XIème siècle une église dont le plan du chevet est inconnu mais dont la nef en moellons était compartimentée par deux files d’arcatures supportant un mur mince d’environ 65 centimètres qui ne pouvait recevoir autre chose qu’une charpente. Les deux premières travées, le premier pilier sud qui portait la chaire et le deuxième pilier sud ont été refaits.
L’abside en hémicycle et à travée droite du XIIème siècle est conservée [Pl.124] ; la construction du transept au XVIIème siècle a enlevé deux pans de l’abside, les trois qui subsistent sont en bel appareil.
Une série de supports à colonnes trapues et bases droites conserve encore des chapiteaux. Les murs nord et sud datent de cette période du XIème siècle caractérisée par la construction en petits moellons [Pl.125]. Le mur nord possédait une petite fenêtre romane comme nous l’apprend Léo Drouyn dans ses Notes Manuscrites : « Le flanc nord…n’a pas de contreforts, seulement on voit, contre le mur extérieur de l’église, une de ces petites fenêtres longues et étroites si communes dans nos monuments romans. »
Le mur sud dont une bonne partie est en moellons a reçu à l’intérieur un support roman dont les parties hautes sont détruites.
MODIFICATIONS POSTERIEURES
A la fin du XIIème siècle ou au début du XIIIème siècle des travaux modifient le chevet. L’abside principale est voûtée en cul de four et sa travée droite en berceau brisé sur doubleaux en appareil régulier, de plein cintre, légèrement outrepassé à doubles rouleaux. Les travaux s’appuient sur le mur où s’ouvre la grande arcade de communication entre l’abside et la nef.
Le transept a été édifié à la fin du XVIème début du XVIIème siècle. Il est composé des chapelles sur croisées d’ogives, Saint Jean (appelée dans un premier temps Saint-Michel puis Saint-Jean dès 1866) et Notre Dame. C’est dans la chapelle Saint-Jean située au nord que se trouve la statue de saint Roch que les pèlerins venaient prier. Statue en pierre du XVIIème siècle, inscrite à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques en 1909. [Pl.146]
L’ancienne sacristie datant du XVIIème siècle, qui se situait contre le mur sud, fut détruite en 1874 lors de la suppression du cimetière. La nouvelle sacristie contre le mur nord date de cette époque .
La façade, la chaire, le clocher et le pilier soutenant la tribune datent des XVIIème et XVIIIème siècles. Le clocher qui occupe l’angle sud-est est de forme carrée et à toit plat, il est percé à son sommet et sur chaque face, de deux petites baies en plein cintre. L’appareil est roman mais le coté sud a été retouché.
Une porte latérale sur le mur sud, percée en 1649, protégée par un porche rustique fut condamnée en 1850 et son porche abattu. Une inscription rappelle son existence : « Cette porte a été faite aux dépens de lure de l’église étan Ruat, ouvriers piere 1649 Fourcade et Antoine ».
RESTAURATIONS DU XXème SIECLE
En 1967 le chevet fut restauré. Un dallage de pierres blanches et de briques roses a été soigneusement posé par des spécialistes venus de Dordogne.
L’année suivante, on procéda à la mise en place des vitraux et de châssis de protection dans le transept. La chaire avec son escalier, située contre le pilier sud près de l’autel, fut supprimée à cette époque.
L’autel hérita de bas-reliefs datant du XVème siècle, [Pl.145] inscrit à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques en 1908 représentant saint Jean-Baptiste et la Vierge ainsi que les donateurs à genoux, la crucifixion et enfin saint Martin.
Les murs furent en partie grattés, ce qui enleva le badigeon du XIXème (contours de pierre rouge) et une partie des badigeons des XIVème (rouge) et XVIIème (blanc).
En 1970 la toiture fut remise en état et les voûtes furent abattues pour laisser place à la charpente en carène du XVIème siècle, ce qui permit de prolonger la tribune près du clocher. La charpente a été restaurée récemment.
Entre 1979 et 1982 le porche fut restauré puis en 1984, ce fut le tour de l’abside.
Plusieurs travaux de réfection à l’intérieur et à l’extérieur sur les murs nord et sud ont été réalisés entre 1985 et 1986, ainsi qu’un drainage dans les chapelles.
1991 vit la restauration d’une partie de la toiture et du petit contrefort sud.
En 1993 et 1994, des travaux d’entretien de la fenêtre de la sacristie et du vitrail nord ont été exécutés, ainsi que la restauration du beffroi et de la chambre des cloches.
DECOR SCULPTE
EXTERIEUR
L’abside est divisée en trois pans qui sont séparés verticalement par deux colonnes engagées sur pilastres à chapiteaux et horizontalement par un cordon mouluré. [Pl.126] Chaque compartiment est percé d’une fenêtre richement encadrée avec tête de claveaux moulurés et archivolte décorée d’un rang d’astéries à quatre pointes. Léo Drouyn juge la sculpture de cette abside comme un « dessèchement de la sculpture qui aboutit à une extrême schématisation ».
Des colonnes d’angle avec chapiteaux représentent des serpents, oiseaux et astéries.[Pl.127] La corniche est soutenue par des modillons diversement ornés: animaux, pour l’un jouant d’un flageolet et l’autre portant un tonneau et divers ornements [Pl.129.130]. Sur certains modillons, on remarque des motifs géométriques, des personnages à grosse tête typique du XIIème siècle.
INTERIEUR
Léo Drouyn a dessiné la plupart des chapiteaux de la fin du XIème siècle, qui présentent la particularité de posséder une corbeille souvent allongée dont les angles sont abattus et les faces plates. [Pl.138.139] Le décor est méplat, par exemple pour les animaux dressés. Les ornements sont souvent géométriques, comme c’est le cas pour les chapiteaux couverts de chevrons, dont un porte sur le tailloir, des billettes. [Pl.140.136]
Ces corbeilles prenaient place au-dessous des arcs de communication entre les nefs, sur des piles engagées semi-circulaires. Ce style est à rapprocher de la sculpture en Saintonge comme on peut en trouver à Saint-Eutrope de Saintes dans la crypte.
Les chapiteaux des piliers sont ornés d’entrelacs, feuillages, cercles, étoiles et losanges. Les deux premières travées, malgré des modifications, conservent encore des chapiteaux allongés aux angles abattus, un décor sommaire de stries, volutes simplifiées ou animaux affrontés comme on peut en voir dans l’église Sainte-Croix de Bordeaux. Celle-ci fut, pour ces périodes des XIème et XIIème siècles, une grande source d’inspiration pour les sculpteurs aux alentours de Bordeaux.
Dans l’abside, coté sud, une coquille saint Jacques est taillée dans la pierre indiquant que la ville est à cette époque un lieu de passage pour les pèlerins.[Pl.135] Les fenêtre sont également richement ornées et quelques chapiteaux figurent des têtes humaines aux angles. [Pl.143.144]
On remarque également les restes d’un retable en pierre qui se trouvait avant dans la sacristie et qui est maintenant réemployé devant l’autel principal. [Pl.145] Trois panneaux ont été conservé mais il devait en comporter plus à l’origine. Au centre, se trouve la crucifixion avec la Vierge, saint Jean et un couple de donateurs composé d’un chanoine et d’un ecclésiastique reconnaissable à son costume et à sa tonsure. Sur le panneau de gauche, la Vierge porte l’enfant. Près d’elle, saint Jean-Baptiste présentant l’agneau c’est à dire le Christ. A ses pieds, un autre donateur qui paraît plus petit. A droite, on reconnaît saint Martin accomplissant sa charité en partageant son manteau. C’est grâce au style des drapés qu’on a peu dater ses reliefs de la fin du XIVème siècle. La polychromie d’origine constituée de bleu, rouge, vert et or n’est plus conservée.
Concernant le décor peint, on trouve dans l’église Saint-Martin plusieurs toiles inscrites à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques comme celle de Mazoyer, saint François-d’Assise et saint Bonaventure, du XVIIème siècle, qui se trouve sur le mur nord entre les deux autres. A droite on remarque également une toile inscrite en 1974 représentant le Christ, la Vierge et sainte Madeleine, toile du XVIIIème siècle.
CONCLUSION
L’église Saint-Martin de Villenave d’Ornon a donc subi de nombreuses modifications depuis sa création au XIème siècle. Elle présente de nombreuses caractéristiques du début de l’art roman, en particulier dans sa sculpture. Certaines comparaisons sont possibles avec la sculpture saintongeaise concernant le style. Enfin un autre intérêt de cet édifice est qu’il est situé sur le passage des pèlerins en route pour Compostelle ce qui explique la présence d’une coquille.
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